Impensable ! C’est la première fois qu’une comédie musicale de Stephen Sondheim est montée en France, ailleurs qu’à Paris ! C’est Follies et c’est une coproduction de l’Opéra de Toulon et de l’Opéra de Metz.
Ils en rêvaient, l’annonçaient, s’y préparaient et l’ont fait. Il y a trois ans, Claude Bonnet, directeur de l’Opéra de Toulon et Jean-Luc Choplin, directeur du Théâtre du Châtelet, discutant avec Stephen Sondheim au lendemain de la première de A Little Night Music, demandèrent au compositeur laquelle de ses œuvres il souhaiterait encore monter en France. Sondheim nomma Sunday in the Park with George, Into the woods et Follies. Il ne restait plus qu’à se répartir le travail. Sunday in the Park débute au Châtelet le 15 avril. À l’opéra de Toulon revint le défi de présenter Follies. Hélas, trois représentations pour une première mondiale, c’est peu. Mais mission accomplie les 8, 9, et 10 mars dernier !
Follies est une énorme machine. Ce sont 42 artistes sur scène, dont 21 solistes, 52 musiciens et 200 personnes mobilisées depuis 3 ans. "C’est aussi exigeant que de monter une pièce de Shakespeare, ou un opéra", résume Olivier Bézénech, le metteur en scène.
Devinette : où dans le monde peut-on se permettre de monter une œuvre de Sondheim dans son intégralité ? Cocorico : à Paris, au Châtelet et, maintenant, à l’Opéra de Toulon. À Londres, à New York, Follies est joué et rejoué [notamment en 2011 à Broadway], mais avec des réductions d’orchestre pour 6 ou 12 musiciens. Bien sûr, ne rêvons pas, si en France c’est possible c’est parce que les théâtres sont subventionnés. Mais ne boudons pas notre plaisir. Quel bonheur et quel privilège inouï de pouvoir goûter en France aux œuvres de l’un des génies de la musique américaine, en version originale sous-titrée, servis par un cast essentiellement anglophone, mais pas seulement… Jérôme Pradon, dans un des rôles principaux (Buddy), Nicole Croisille (Carlotta Campion) et Denis d’Archangelo (Solange Lafitte) ont tenu brillement leur rang face aux vedettes de Broadway ou du West End.
L’action se déroule dans un théâtre de Broadway voué à la démolition le lendemain même. L’ancien producteur des célèbres revues musicales "Weisman’s Follies" invite sa troupe une dernière grande soirée. Sally (Charlotte Page) et Phillys (Liz Kahn), anciennes danseuses de la revue, arrivent flanqués de leur mari respectif.
Sally a toujours été amoureuse du mari de Phyllis, Ben (Graham Bickley), et l’est encore. Son mari, Buddy (Jerome Pradon), se sent mal aimé. Ben et Phyllis ne sont pas heureux non plus.
Le temps d’une soirée, les couples se feront et se déferont. Espoirs déçus, rendez-vous manqués, nostalgie de la jeunesse perdue : autant de thèmes que l’on retrouve souvent dans les compositions de Sondheim dont le génie est d’inventer des musiques et des mélodies qui collent à l’atmosphère et à la psychologie des personnages.
Au cours de la soirée d’adieu donné par le directeur des "Weissman Follies", plusieurs ex-girls, âgées à présent de 40 à 79 ans, exécutent leurs anciens numéros. Ainsi, "Who’s That Woman (Mirror Mirror)", un numéro de danse et de chant mené par Stella Deens (Sarah Ingram) époustouflante d’énergie et de précision, a laissé le public abasourdi. Mais Follies ne compte pas moins de 22 numéros musicaux devenus pour la plupart des morceaux d’anthologie de la comédie musicale.
Le choix des solistes étant d’une qualité irréprochable, la production toulonnaise de Follies brille de mille feux et réserve quelques vraies surprises. Parmi celles-ci, la comédienne Julie Sutton âgée de 79 ans. Lorsqu’elle apparaît, les jambes arquées, la permanente bleutée, vêtue d’un tailleur en tweed comme seules en portent les vieilles anglaises, on s’attend à tout, sauf à ce qu’elle chante "(I’m a) Broadway Baby". Et son interprétation n’a rien à envier à la légendaire Elaine Stritch qui chanta ce tube pour Stephen Sondheim lors de la célébration de ses 80 ans à Londres. "How Could I Leave You", une mini pièce de théâtre drôle et amère, permet à Liz Kahn (Phyllis) de déployer tous ses talents d’actrice et de chanteuse. Dans "Losing My Mind" (le grand air de Sally), Charlotte Page dévoile avec un art consommé toutes les fêlures de son personnage devant une salle à l’écoute de ses moindres intonations. Quand Nicole Croisille, en tenue de combat dans une longue robe moulante bleu pailleté, nous affirme qu’elle est encore dans le coup ("I’m Still Here"), ça ne se discute même pas une seconde. Chapeau bas, l’artiste !
Outre sa musique complètement addictive, Follies est une étude sur le caractère féminin. Sondheim y parle avec beaucoup de psychologie des femmes. Elles sont fragiles et admirables de courage. Les hommes ne sont pas moins perdus, mais peut-être moins émouvants. Buddy et Ben ont-ils été moins bien servis par l’auteur ?
Très respectueux de l’œuvre, Olivier Bénézech mène la mise en scène tambour battant. Le chef d’orchestre, David Charles Abell, un fin connaisseur de la musique de Sondheim (il dirigeait Sweeney Todd au Châtelet en 2011), met en valeur toutes les subtilités de sa composition.
Heureusement, cette production de Follies sera redonnée à l’Opéra de Metz en janvier 2014 pour 8 soirées et sera projetée à la télévision à Noël s
ur France 3. Ce sera l’occasion pour le grand public de découvrir le dernier grand compositeur de comédie musicale et de savourer une œuvre profonde, savante, mais qui reste un merveilleux divertissement.
Follies, de Stephen Sondheim et James Goldman
Musique et paroles : Stephen Sondheim, Livret : James Goldman
A l’Opéra de Toulon les 8, 9 et 10 mars 2013
A l’Opéra de Metz en janvier 2014
Direction musicale : David Charles Abell, Mise en scène : Olivier Bénézech, Chorégraphie : Caroline Roëlands, Casting manager : Stephen Crockett, Décors : Valérie Jung, Vidéo : Gilles Papain, Costumes : Frédéric Olivier, Lumières : Marc-Antoine Vellutini
Avec : Graham Bickley (Benjamen Stone), Liz Robertson (Phyllis Rogers Stone), Jérôme Pradon (Buddy Plummer), Charlotte Page (Sally Durant Plummer), Nicole Croisille (Carlotta Campion), Sarah Ingram (Stella Deems), Denis d’Arcangelo (Solange Lafitte), Stuart Neal (Young Ben), Sophie May Wake (Young Phyllis), Fra Fee (Young Buddy), Jessie May (Young Sally), Julia Sutton (Hattie Walker), Marilyn Hill Smith (Heidi Shiller), Kristy Swift (Young Heidi), Joe Shovelton (Roscoe, Max Deems), Jo Cameron Brown (Emily Whitman), John Conroy (Theodore Whitman), Larrio Ekson (Weismann), François Beretta (Kevin) et Isabel Cramaro (Margie).