Nous ne sommes encore qu’à onze mois de la prétendue date fatidique mais on ne cesse de nous rebattre les oreilles avec la prétendue apocalypse maya… Lassant ? Sûrement. Agaçant ? Pas toujours !
La compagnie L’Héautontimoroumenos propose avec Gabegie – Apocalypse 2012 une satire politique et musicale fascinante qui n’hésite pas à mêler audacieusement le quinquennat de Nicolas Sarkozy à la menace imminente de la fin d’un monde.
Des coulisses du pouvoir à l’invasion des clones de Marine Le Pen, bienvenue dans l’enfer maya !
En 2007, quelques semaines après son élection à la tête de la France, notre président brisé, quitté par sa femme, fuit pour St-Tropez où il entend tout oublier. Rattrapés par le devoir, lui et les énergumènes de son gouvernement vont recevoir un mystérieux message du futur les avertissant de l’imminence de la fin du monde, prévue exactement pour 2012.
Seizième opus d’une série entamée en 2004, Gabegie est un concept théâtral aventureux imaginé par le metteur en scène Jean-François Mariotti : écrire et mettre en scène en huit jours une pièce de théâtre en prise directe avec l’actualité.
Forme de la comédie musicale oblige, la première partie de cet épisode "hors-série" aura exceptionnellement nécessité quatre mois de travail. La seconde en revanche a été écrite en trois jours et répétée en cinq, juste avant cette série de représentations au Théâtre Berthelot.
L’argument de Gabegie – Apocalypse 2012 n’est pas sans rappeler René l’Énervé, l’opéra-bouffe de Jean-Michel Ribes qui s’est joué plus tôt cette saison au Théâtre du Rond-Point. Mais là où Ribes se livrait à une simple relecture exhaustive et gentiment critique du quinquennat de Nicolas Sarkozy, Mariotti signe quant à lui un pur récit de science-fiction au vitriol dans les arcanes du gouvernement.
Au passage, le chef de l’État et ses sbires du Tribord en prennent bien évidemment pour leur grade : Falbala Dati désespère d’enfanter après avoir donné naissance à un pois sauteur mexicain, Intérieur (le Ministre) est subjugué par le charisme de son beau président… à Babord, Sophie Marceau est Ministre de Les Droits de l’Homme (sic), Michel Leeb (devenu noir) est à la Culture (et à la confiture) et Arielle Dombasle est cantatrice de propagande à la télévision nationale.
Pépita Burni, cadeau de Silvio Berlusconi à son homologue français, vient redonner un peu de fougue au Président déprimé. Et Marine Le Pen ? Tout le monde rêve de l’interpréter !
Clownesque ? Oui, car cette bande de mousquetaires rigolos s’est donné pour mission d’être des caricatures d’eux-mêmes et de tout faire pour tourner la France, voire le Monde, en ridicule. Dans cet univers parallèle, c’est BHQQL (mari d’Arielle, évidemment) qui a été victime d’un supposé complot et s’est tapé le groom d’un Sofitel. Il s’empresse, depuis le futur, d’envoyer des messages cryptiques aux deux grands partis politiques français pour inverser la donne et que DSKK soit piégé à sa place…
Cette galerie de personnages a le bonheur d’être interprétée par une troupe talentueuse montée sur ressorts. Maxime Legall interprète un Président plus vrai que nature, entouré de sa cour de ministres bourrés des mêmes tics que lui. Clémentine Marmey incarne une Sophie Marceau sur le fil de la folie, tandis qu’Aurélie Toucas donne de sa puissante et magnifique voix en Arielle écervelée frappée d’éclairs d’érudition.
Priscilla Bescond, d’abord autoentrepreneuse en mendicité à l’allure de Roumaine portugaise, explose en aspirante Marine Le Pen au cours d’un numéro rock révolté.
La musique de Mélie Fraisse porte avec brio les paroles imaginées par le metteur en scène. Tantôt modulations lancinantes sur un même thème, tantôt ritournelles pop qui empruntent au rock comme au reggae ou à la comptine, la partition imaginée par la jeune compositrice apporte un authentique vent de fraîcheur au genre. Espérons que Mélie Fraisse, qui est habituée de la création de bandes sons originales pour le théâtre, ne s’arrêtera pas en si bon chemin et renouvellera rapidement l’exercice de la comédie musicale !
Pour ne rien gâcher, cette Apocalypse 2012 a pour magnifique écrin une scénographie (signée Valentin Monfort) épurée mais savamment exploitée par Mariotti, dont le texte est bourré d’humour et de caricatures follement jouissives.
Seul bémol, la seconde (mais courte) partie de la pièce – celle écrite en trois jours – souffre des travers de cet exercice de style : bien moins aboutie, souvent redondante avec le premier acte, elle n’aborde finalement que peu de sujets d’actualité et mène à un dénouement convenu qui nous rappelle la prochaine échéance électorale.
On fermera les yeux sur ces lacunes bien mineures pour ne retenir que l’essentiel : Gabegie – Apocalypse 2012 est un délire musical bluffant qui propose une critique en toute mauvaise foi du pouvoir en place (et de l’opposition), et n’hésite pas à nous rappeler que c’est à chacun de nous de prendre les urnes d’assaut pour éviter l’Apocalypse !
Gabegie – Apocalypse 2012, de Jean-François Mariotti
Du 13 au 21 janvier 2012 à 20h30 (relâche dimanche et lundi)
Au Th&eacu
te;âtre Berthelot
6 rue Marcelin Berthelot, 93100 Montreuil
M° Croix de Chavaux
De 8 à 12 €
Texte et mise en scène : Jean-François Mariotti ; musique : Mélie Fraisse ; assistantes à la mise en scène : Barbara Lamballais et Delphine Pradeilles ; scénographie : Valentin Monfort ; lumières : Carole Van Bellegem ; son : Benjamin Ribolet ; production : L’Héautontimorouménos.
Avec : Priscilla Bescond, Roman Girelli, Frédéric Jessua, Maxime Le Gall, Clémentine Marmey, Grégory Montel, Sophie Neveu, Irina Solano, Aurélie Toucas, Maxime Tshibangu. Musiciens : Mélie Fraisse, Hannelore Guittet, Pierre-Louis Jozan, David Pickering, Judith Wekstein.