Critique : "I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

Temps de lecture approx. 6 min.

Critique : "I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du ChâteletLe Théâtre du Châtelet présente pour une durée limitée I Was Looking At the Ceiling and then I Saw the Sky de l’américain John Adams (Nixon in China). Le temps de ce "song play", le compositeur minimaliste s’éloigne de l’opéra pour s’essayer au genre populaire du musical, qu’il aborde à travers l’histoire de sept jeunes américains confrontés au terrible tremblement de terre de 1994 à Los Angeles.

Avec sa galerie de personnages modernes provenant de milieux sociaux et ethniques variés, la pièce dresse un instantané saisissant du melting pot américain : un jeune noir qui sort de prison, un pasteur afro-américain, une employée d’un centre de planning familial, une sans-papier du Salvador, un jeune policier idéaliste, une journaliste télévisée, et un avocat né de parents vietnamiens anciens "boat people". Ce portrait hyperréaliste de la société américaine est l’occasion d’aborder de nombreux thèmes actuels allant du racisme aux rapports entre les sexes, en passant par la justice, les inégalités, la religion ou encore l’homosexualité.

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

La rencontre des musiques savantes et pop

Dès les premières notes, le style minimaliste de John Adams s’exprime, caractérisé par des motifs répétitifs très courts et lancinants, auxquels fait écho le scintillement des lumières de la ville projetée sur les structures épurées du décor.

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

Cette musique savante, mariée aux styles musicaux populaires les plus courants du théâtre musical (gospel, swing, blues, jazz, funk et rhythm and blues), produit un résultat détonnant à même de réconcilier amateurs d’opéra, de musical, et de pop. La rencontre en une même œuvre de ces trois genres souvent étrangers fonctionne comme par magie et constitue une intéressante porte d’entrée vers l’opéra et la musique contemporaine pour les profanes qui y sont encore réticents : si les arrangements et la structure des chansons sonnent de façon familière aux oreilles de l’auditeur lambda, l’exigence de la partition permet de s’habituer en douceur aux libertés et à la complexité de la musique minimaliste.

Les airs ne produisent pas tous un résultat également passionnant, mais l’œuvre abonde de mélodies et paroles séduisantes qui concilient habilement les spécificités des genres explorés par le compositeur.

Longueurs et hésitations

Le livret (de June Jordan), quant à lui, peine à captiver : durant les 80 minutes que dure le premier acte, on assiste essentiellement à une succession de numéros qui servent à exposer les personnalités et les rapports qu’entretiennent les personnages entre eux. L’intrigue s’articule essentiellement autour de Dewain, le jeune délinquant tout juste libéré de prison, qui se fait prendre pour un larcin dérisoire. L’action progresse peu, et son rythme bien trop lent finit par laisser la place à une succession de digressions qui s’apparentent davantage à la revue qu’au musical.

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

La mise en scène n’est malheureusement pas là pour résoudre ce sentiment désagréable : concentrant tous ses efforts sur une scénographie ambitieuse reposant sur d’innombrables projections vidéos monumentales et criardes, Giorgio Barberio Corsetti en oublie de diriger ses comédiens qui se noient dans un océan de couleurs et de formes, incapables d’habiter intelligemment l’espace. Certains d’entre eux offrent d’ailleurs des prestations inégales, ponctuées par quelques hésitations et trébuchements.

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

Ce délaissement cruel de l’action sur scène se fait d’autant plus ressentir dans les passages instrumentaux, visiblement considérés comme un obstacle par le metteur en scène qui n’en tire aucun parti et les laisse maladroitement dérouler comme une rupture dans les tableaux où ils interviennent. À tel point qu’il rejette au début du second acte, avant le tremblement de terre, la pièce "Earthquake Music" qui est sensée y succéder : en l’exploitant comme musique d’ouverture précédant le lever du rideau, Corsetti se dispense de donner vie à la scène correspondante et prive de son sens ce morceau instrumental.

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

Autre point noir de la représentation, les transitions entre les premières scènes de la pièce se montrent désespérément longues et silencieuses, et l’on doute de l’utilité et la pertinence de ces interminables et systématiques mouvements de structures.

Un retournement inattendu

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

Et pourtant, passé l’entracte, tout bascule : les personnages sont frappés de plein fouet par le tremblement de terre qui toucha la côté californienne il y a près de dix ans. Leurs vies, habitudes et convictions chamboulées, leur con
fort perdu, ils envisagent leur existence autrement, se prennent en main, et osent enfin affronter leurs démons, leurs contradictions et leur avenir. Le tremblement de terre se fait d’ailleurs tout autant ressentir dans la partition et dans la mise en scène : le deuxième acte, plus court, offre à la partition ses moments les plus magnifiques ("Crushed By The Rock I Been Standing On" ; "Dewain’s Song of Liberation and Surprise" ; "One Last Look At The Angel In Your Eyes") ; la scénographie, déstructurée, sait effacer les projections vidéos pour mieux laisser le loisir aux interprètes de démontrer l’étendue de leur talent.

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

En quelques minutes, on découvre une toute autre pièce, on se laisse charmer, et on en oublie presque les hésitations de la première partie. Quel dommage qu’il faille en endurer les écueils pour accéder (contrairement à une partie du public qui n’était pas de retour après l’entracte) à un aussi beau dénouement !

"I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky" au Théâtre du Châtelet

On quitte le Théâtre du Châtelet obsédé par les paroles et l’air entêtant de la chanson titre de la pièce, avec pour seule envie celle d’en réécouter les meilleurs moments chez soi, les yeux fermés, l’imagination libre de se créer sa propre mise en scène.

Regardez la bande-annonce de I Was Looking At the Ceiling… au Théâtre du Châtelet :

Crédit photos : Marie-Noëlle Robert – Théâtre du Châtelet


I Was Looking At The Ceiling And Then I Saw The Sky de John Adams

Musique de John Adams ; Livret et lyrics (Éditions Boosey & Hawkes) : June Jordan

Direction musicale : Alexandre Briger ; Mise en scène ; Giorgio Barberio Corsetti ; Scénographie : Giorgio Barberio Corsetti & Massimo Troncanetti ; Costumes : Francesco Esposito ; Lumière : Marco Giusti ; Conception et réalisation sonore : Mark Grey ; Vidéo : Igor Renzetti ; Animation des images : Lorenzo Bruno

Avec : l’Orchestre du Châtelet ; le Choeur du Châtelet ; Carlton Ford (Dewain) ; Hlengiwe Mkhwanazi (Consuelo) ; Joel O’Cangha (David) ; Janinah Burnett (Leila) ; John Brancy (Mike) ; Jonathan Tan (Rick) ; Wallis Giunta (Tiffany).

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