L’opérette la plus célèbre de Francis Lopez revient sur le devant de la scène pour la réouverture du Théâtre Comédia.
Le pari insensé de Jack-Henri Soumère
C’est courageux, pour ne pas dire téméraire, de la part de Jack-Henri Soumère (le nouveau propriétaire du théâtre Comedia) et du metteur en scène Olivier Desbordes, de monter une énième version de La Belle de Cadix, l’opérette la plus populaire du compositeur Francis Lopez.
D’une part, dans la mémoire collective des Français, La Belle de Cadix est indissolublement liée au souvenir de Luis Mariano. Le rôle principal de Carlos a été écrit pour lui et l’œuvre existe à travers son personnage de bellâtre hidalgo, star du septième art. Depuis sa création en 1945*, il y a eu de nombreuses autres productions, mais aucun des ténors qui succédèrent à Mariano dans le rôle de Carlos n’a réussi à faire oublier la voix d’or du chanteur basque.
"La Belle de Cadix a des yeux de velours… " : il suffit de fredonner cette ritournelle et aussitôt les accents veloutés de Mariano nous traversent le cortex. Soixante six ans plus tard, tenter de lui succéder reste un pari risqué.
Autre risque non négligeable : cette Belle de Cadix est une grosse production. Le spectacle, qui a débuté au Comédia le 21 septembre dernier, réunit 40 artistes, dont des choristes, des danseurs, sans compter les centaines de costumes venus d’Espagne. Une production de cette envergure est généralement réservée aux théâtres publics et subventionnés.
Last but not least : en dépit des efforts estimables de jeunes troupes pour la remettre au gout du jour, l’opérette est un genre qui n’en finit pas de se ringardiser. Pourtant, ce sont précisément ces écueils qui ont poussé Olivier Desbordes à se lancer dans l’aventure.
"J’avais un a priori contre l’opérette", admet le metteur-en-scène, "mais j’ai voulu comprendre pourquoi La Belle de Cadix avait eu tel succès. J’ai découvert le talent indiscutable de mélodiste de Lopez. Peu à peu, je me suis demandé comment je pouvais en faire un succès aujourd’hui, dans l’univers morose qui est le nôtre. Mon ambition est de parvenir à réunir deux publics, les anciens, les inconditionnels de Mariano, et les jeunes qui ignorent tout de ce répertoire."
Olivier Desbordes a traité l’œuvre avec un œil moderne et humoristique. L’histoire s’y prête.
L’action débute à Palm Beach : Carlos Medina est une star de cinéma, une sorte de bellâtre au charme prétentieux, qui doit se marier avec une riche américaine. Au cours d’un tournage en Espagne, à Cadix, il rencontre Maria-Luisa, une gitane à qui il propose le rôle de la vedette et dont il va tomber amoureux.
En contrepoint de l’histoire d’amour, des personnages secondaires, Dany Clair le metteur en scène (Éric Perez), Manillon son assistant (Éric Vignau), et Pépa (Isabelle Fleur) une autre gitane, vivent des relations amoureuses rocambolesques.
"C’est le contraste entre le couple romantique de Carlos et Maria Luisa et cette brochette de personnages loufoques qui donne du poivre à cette opérette", affirme Desbordes.
Pari réussi ? À l’issue de la représentation, certains amoureux de l’opérette restent sur leur faim. Mais, au même instant, toute la salle est debout, acclamant les artistes et battant des mains au rythme endiablé du final.
La mécanique mise en place par Olivier Desbordes et l’orchestration de Thibaud Perrine sur les musiques follement énergisantes de Lopez fonctionnent.
Un mélodiste exceptionnel
La Belle de Cadix est ponctuée de mélodies faciles à retenir et ravissantes. La plupart : "La Belle de Cadix", "La Fiesta Bohémienne", "Maria-Luisa", "Le Clocher du Village", "Rendez-vous sous la Lune", a été d’’immenses succès.
On pourrait croire que la musique de Lopez est simpliste. Il n’en est rien : les airs de Maria-Luisa et de Carlos sont magnifiquement écrits pour la voix, mais d’une grande difficulté technique.
Compte tenu de l’exigence de ces deux rôles sur le plan vocal, pas moins de trois Maria-Luisa et deux Carlos on été engagés, issus pour la plupart de l’Atelier lyrique de Bastille.
Le rôle de la vedette féminine exige une voix très longue. Idéalement, il doit être chanté par une soprano lyrique qui possède de bons aigus. Flora Fernandez, l’une des trois Maria Luisa, en convient : "Les airs sont très difficiles".
Pour le ténor, le défi n’est pas moins ardu. S’il se promène moins dans le suraigu, il ne chante pas moins de neuf airs, du plus doux au plus vaillant et la difficulté, cette fois, est d’assurer sur la durée. Le soir de la générale le rôle était tenu par Juan Carlos Echeverry, un ténor Colombien qui a parfaitement le physique de l’emploi et la voix ensoleillée à souhait. Flora Fernandez et lui forment un joli couple et leur prestation lyrique est irréprochable.
Si l’on devait formuler une réserve, elle concernerait le livret. L’histoire sentimentale entre la star et la gitane a tous les ingrédients pour nous émouvoir et pourtant elle manque de conviction. Ce n’est sans doute pas la faute de Desbordes, qui a fait avec ce qu’il avait.
Le deuxième acte est bizarrement court et le dénouement final amené sans aucune transition. On a l’impression que les librettistes (Raymond Vincy et Marc-Cab), tenus de conclure sur une fin heureuse, ne se sont pas beaucoup foulé pour la rendre crédible.
Pour gommer ces faiblesses, Olivier Desbordes a utilisé plusieurs stratagèmes. Les tableaux se suivent à un rythme d’enfer. L’intervention de quatre danseurs espagnols contribue beaucoup au dynamisme du spectacle. Ne ratez pas, parmi eux, une petite brunette, dont la gestuelle hispanisante et la façon de cambrer les reins, sont fascinantes.
Si le metteur en scène a totalement respecté la partition musicale, les personnages ont été revisités.
"Olivier nous a demandé de ne pas jouer au premier degré", explique Fernandez. "Il y a beaucoup de passages où l’on ne joue pas ce que l’on dit.Ça donne plus de profondeur aux personnages".
Le côté loufoque des rôles secondaires a été accentué, notamment celui de Dany Clair, le metteur en scène fou. Il est joué par Éric Perez, un comédien chanteur et metteur en scène, dont le jeu est totalement désinhibé. Quand Dany et la gitane, Pépa, se lancent dans un numéro extravagant de Domina on se croirait davantage dans une production de Jérôme Savary que dans une opérette de Francis Lopez.
La Belle de Cadix est programmée au théâtre Comédia jusqu’à fin décembre. L’extraordinaire vitalité et bonne humeur de ce spectacle en font une sortie rêvée pour les fêtes.
* En 1945, à la création, l’ouvrage est monté à l’économie, mais avec enthousiasme par une troupe de jeunes. On ne pensait guère dépasser les 50 représentations : il restera à l’affiche près de deux ans et sera repris en 1949 dans une version à grand spectacle par Maurice Lehmann au théâtre de l’Empire. La Belle de Cadix sera encore programmée à Paris en 1958 (Gaîté-Lyrique), 1968 (Porte-Saint-Martin), 1977 (Mogador), 1979 (Renaissance), 1991 (Eldorado) et 1995 (Mogador).
La Belle de Cadix deviendra un film musical interprété par Luis Mariano et Carmen Sevilla en 1953.
La Belle de Cadix, de Francis Lopez
Au Théâtre Comédia
4 boulevard de Strasbourg, Paris 10ème
Du 20 septembre 2011 au 1er janvier 2012 à 20h (et à 15h les samedi et dimanche ; relâche les lundis)
Réservations au théâtre et dans les points de vente habituels
Direction musicale : Dominique Trottein ; mise en scène : Olivier Desbordes ; chorégraphie : Glyslein Lefever / Cie Blanca Li ; décors / Lumières : Patrice Gouron ; costumes Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne ; peintures : Loran ; orchestration : Thibault Perrine.
Avec : Juan Carlos Echeverry, Raphaël Bremard, Flora Fernandez, Sevan Manoukian, Eduarda Melo, Isabelle Fleur , Eric Vignau, Fabrice de La Villehervé, Clair Eric Perez, Maëlle Mietton, Sandrine Montcoudiol, Yassine Benameur