Après Catherine Hiegel et Marcel Maréchal cet hiver, le sociétaire de la Comédie Française Denis Podalydès s’attaque lui aussi à la fameuse pièce de Molière que l’on connaît bien pour ses célèbres passages grandiloquents. Une vraie réussite pour ce spectacle audacieux tant pour sa modernité que pour ses prises de risques, installé dans le magnifique Théâtre des Bouffes du Nord pour un mois.
Monsieur Jourdain, commerçant dans le tissu que l’on qualifierait de nos jours de "nouveau riche", s’entête à devenir ce qu’il pense être une "personne de qualité", tant il le peut grâce à ses nouveaux revenus et pour pouvoir fréquenter la noblesse et la cour du Roi. Pour cela, il engage maints maîtres de toutes disciplines en vogue (musique, danse, armes, etc…), qui ont bien compris quelle manne financière ce parvenu ignorant allait être pour eux et le complimentent et le flattent pour qu’il mette la main à la poche.
Pendant ce temps, Madame Jourdain trouve bien ridicule les nouvelles lubies de son mari et ne pense qu’à faire marier sa fille Lucile à son amoureux de toujours Cléonte. Mais Monsieur Jourdain va s’y opposer, car il considère que Cléonte n’est plus assez bien pour sa fille puisqu’il n’est pas un "gentilhomme" (au sens humaniste de l’époque, honnête et lettré). D’abord dépité, l’amoureux transi, aidé de son fidèle valet Covielle (sautillant et malicieux comme un valet de commedia dell’arte), va mettre au point un stratagème pour ravir sa fiancée tout en satisfaisant les besoins de grandeur du bourgeois.
Denis Podalydès, comédien principalement de théâtre (sociétaire de la Comédie-Française) mais aussi de cinéma, notamment chez son frère Bruno (Adieu Berthe, présenté en mai à Cannes, se fait ici metteur en scène dans l’esprit de la comédie-ballet imaginée par Molière, mêlant sur scène tous les arts du genre : un orchestre (dirigé par Christophe Coin), la musique de Lully, du chant (principalement a cappella) et des ballets.
Les décors imaginés par Eric Ruf rappellent les origines modestes de "vendeurs de draps" des parents Jourdain, tout en permettant de nombreuses facéties et ingéniosités de mise en scène avec les tissus et les meubles. Les costumes de Christian Lacroix finissent d’envelopper la scène de couleurs explosives et de tissus chamarrés.
Si quelques scènes de cette pièce classique sont passées à la postérité désormais ( "Marquise, vos beaux yeux me font mourir d’amour" ou la scène de l’intronisation de Monsieur Jourdain au rang de Mamamouchi ), on reste ébahi devant l’inventivité de cette mise en scène et l’énergie dégagée par celle-ci, pourtant longue (2h50 avec entracte). C’est sûrement la multiplicité des arts et leur juste harmonie qui permet de passer du rire à l’admiration, tout en étant bercé de musique et chant baroques magnifiquement interprétés. La résonance entre les différentes composantes propose un ensemble des plus lumineux.
Pascal Rénéric, peu connu du grand public mais véritable coup de cœur de Podalydès, campe un Jourdain tout à la fois naïf et sûr de son bon goût, enthousiaste comme un enfant devant toute la connaissance qu’il veut acquérir pour faire partie du grand monde et impressionner une marquise qu’il a entrepris de courtiser. On ne peut qu’avoir de la tendresse pour ce personnage méprisé par ses employés, qui ne le voient que comme une bourse bien garnie à duper sans scrupules, et boudé par sa femme qui ne comprend pas cette soif d’apprendre. Tendresse provoquée aussi par le jeu du comédien, qui crée une grande complicité avec le public, souriant et prenant à partie la salle.
La partition de Lully est interprétée avec une grande justesse, et prend une grande place, tour à tour soulignant le texte ou dialoguant véritablement avec les comédiens tel un personnage à part entière ; les musiciens ont d’ailleurs un véritable rôle scénique, ainsi que les solistes, de par la construction de la comédie-ballet.
Sans pouvoir citer tous les talents de la pièce, auxquels les premières critiques ont reproché leur verdeur, on notera cependant le superbe travail de la chorégraphe Kaori Ito, qui a travaillé avec Philippe Découflé et Sidi Larbi Cherkaoui : elle parvient à insuffler une vraie modernité dans la comédie-ballet sans pour autant tomber dans l’anachronisme. On sait désormais qu’on peut faire de la danse indienne sur du Lully, et proposer aux comédiens de mêler au jeu théâtral de subtils mouvements de danse comme pour appuyer le propos du texte.
Présenté début juin aux Nuits de Fourvière et ovationné depuis, c’est un beau succès qui se prépare pour ce spectacle qui parvient à moderniser une forme théâtrale pour le moins classique. On souhaite à ce projet de Podalydès le même destin que son aîné Cyrano de Bergerac, qui avait raflé 6 Molières en 2007 !
Le Bourgeois Gentilhomme, comédie-ballet de Molière, sur une musique de Lully
Au Théâtre des Bouffes du Nord du 19 juin au 21 juillet 2012
37 bis boulevard de la Chapelle, Paris XVIIIè
(attention la station La Chapelle est fermée pour l’été, prendre par Stalingrad)
01 46 07 34 50 et www.bouffesdunord.com
Puis en tournée jusqu’en 2013, et notamment :
à l’Opéra Royal de Versailles du 19 au 21 novembre 2012
au théâtre de Caen du 11 au 15 décembre 2012
à la Criée à Marseille du 5 au 11 janvier 2013
Mise en scène de Denis Podalydès ; direction musicale de Christophe Coin ; scénographie d’Eric Ruf ; costumes de Christian Lacroix ; chorégraphie de Kaori Ito
Avec : Pascal Rénéric, Isabelle Candelier, Julien Campani, Manon Combes, Thibault Vinçon, Alexandre Steiger et bien d’autres comédiens et danseurs
Avec les solistes de l’Ensemble Baroque de Limoges