La comédie musicale a l’art et la manière de mettre en scène les plus émouvantes histoires d’amour dans les contextes les plus extraordinaires : une guerre de gang en plein New York, les coulisses d’un opéra parisien… et depuis lundi, les couloirs de l’hôpital psychiatrique de la comédie musicale originale Les Instants Volés au Théâtre Michel.
Le troublant Max, bi-polaire qui se croit danseur étoile dans ses épisode hypomaniaques, fait immersion dans la vie la jeune Lula, adolescente dépressive chronique, lorsqu’il rejoint l’unité psychiatrique où ils sont tous les deux hospitalisés. Dans ce contexte glacial, où gravitent un personnel soignant cynique, des médecins rigides et une galerie de malades aussi comiques que fous, ils se créent un monde à eux et s’ouvrent peu à peu, laissant entrevoir la possibilité d’une guérison pour laquelle l’amour serait la thérapie.
Œuvre de l’auteur Cyrille Garit et du compositeur Stève Perrin, Les Instants Volés fait partie des spectacles que l’on avait pu découvrir lors des Lectures Diva en 2010. Depuis, le spectacle s’est adjoint les services du metteur en scène Jean-Charles Mouveaux-Mayeur, et la distribution a considérablement évolué.
Deux interprètes phénoménaux
Dans les rôle principaux, Joseph-Emmanuel Biscardi (Cabaret ; Fame) et Vanessa Cailhol (Mamma Mia! ; La Revanche d’un Blonde) sont absolument bouleversants. Du Max prostré, dans le creux de la vague, abruti par les médicaments et à la limite de l’autisme, et de la Lula apathique aux impulsions suicidaires, ils évoluent avec subtilité et s’épanouissent au travers d’une palette d’émotions profondément émouvantes. Leurs scènes à deux donnent vie à des moments de grâce d’une rare authenticité, nous plongeant par exemple dans l’intimité d’un cours de danse improvisé. Leur amour naissant reste platonique, conditionné par leur état et l’environnement peu propices, donnant une grande subtilité à leur relation.
Autour d’eux, Philippe d’Avilla (Hair ; Roméo et Juliette) et Caroline Klaus (Un de la Canebière ; Le Peep Musical Show) agitent une galerie de personnages plus ou moins fêlés : une arthérapeute fofolle, un schizophrène qui accouche de l’univers – star d’une scène comique remarquable –, une vieille nymphomane dégoûtante, mais aussi quelques infirmiers, docteurs, amis, et famille des deux héros.
Hélas, leurs personnages, pour certains fondamentaux, ne bénéficient pas de la même subtilité d’écriture que leurs partenaires de scène.
Un parti pris périlleux pour un thème difficile
Le spectacle est notamment ponctué de récurrents apartés de Jean (d’Avilla), infirmier-conférencier cynique qui joue ici le rôle de Maître de Cérémonie (il a même sa chanson de bienvenue, comme dans le musical Cabaret). L’effet est maladroit et des plus dérangeants, et est même un obstacle à l’adhésion du spectateur lorsque ce même personnage quitte son rôle de narrateur pour intégrer l’intrigue.
Le comique frontal et grinçant de ce personnage rompt cruellement avec le raffinement des traits d’humour qui ponctuent les scènes de Max et Lula. Les deux registres se confrontent et produisent une démarcation boiteuse entre les différentes scènes.
Ce n’est pourtant pas là le principal écueil de la pièce. À trop vouloir rendre ses protagonistes humains, l’auteur efface peu à peu la maladie de Max et Lula au risque de convaincre les spectateurs que les deux personnages ont été internés à tort. Ce n’est pourtant visiblement pas le cas, à en juger par les tentatives de suicide de la jeune femme et les épisodes maniaco-dépressifs de celui dont elle s’éprend.
En nous plaçant du côté des malades, le propos devient manichéen et les autres personnages, qu’ils soient eux aussi malades ou là pour aider à guérir, apparaissent forcément comme des persécuteurs bien plus déséquilibrés. Un postulat dangereux, qui nous fait aborder avec la plus grande circonspection les traitements extrêmes que devra subir un des deux héros : comment adhérer à la sismothérapie (traitements de chocs) lorsque le personnage nous donne finalement l’impression d’être sain d’esprit ?
Le relatif happy-end, expéditif, laisse en suspens de nombreuses interrogations quant au devenir de Max et Lula, et l’évolution de leurs pathologies.
La référence à Next to Normal
Difficile, devant les thèmes des troubles psychiatriques et la danse, de ne pas penser à deux excellents musicals anglo-saxons, tous deux primés aux Tony Awards : Next To Normal et Billy Elliot. Les thèmes du premier – bipolarité, dépression, traitements de choc – sont d’ailleurs largement empruntés ici. Hommage ou coïncidence, Les Instants Volés n’a
tteint en tout cas malheureusement pas la finesse de ses homologues américain et anglais.
La partition, servie par un orchestre de poche composé d’un piano et d’une contrebasse, joue quant à elle sur des motifs mélodiques et rythmiques répétitifs et lancinants. Le style est jazzy (tout comme chez Next to Normal), et quelques jolis airs sortent du lot, comme par exemple "Notre plus beau rêve", "Je ne sais pas" ou encore les solos-confessions de Max et Lula.
Œuvre encore jeune puisqu’elle fait tout juste ses débuts sur scène, gageons que Les Instants Volés saura trouver ses marques et évoluer dans le bon sens au fil de ces quatre première présentations. Un projet prometteur, servi par des artistes talentueux, que nous vous encourageons à suivre.
Photos : Olivier Killherr
Les Instants Volés, de Cyrille Garit et Stève Perrin
Au Théâtre Michel
38 rue des Mathurins 75008 Paris
Les 11, 17, 24 et 25 juin 2012 à 20h00.
23 €
Réservations : points de vente habituels
Livret et paroles : Cyrille Garit ; musique et direction vocale : Stève Perrin ; mise en scène : Jean-Charles Mouveaux-Mayeur, assisté de Marine Julien ; chorégraphie : Stéphanie Chatton ; lumières : Pascal Noël.
Avec : Philippe d’Avilla, Joseph-Emmanuel Biscardi, Vanessa Cailhol et Caroline Klaus.
Musiciens : Jibril Caratini-Sotto (piano), François Fuchs (contrebasse).