L’Opéra de Sarah – Avant l’Amérique, d’Alain Marcel
Avec Jérôme Pradon, accompagné de Damien Roche au piano.
Au Théâtre de l’Œuvre jusqu’au 30 avril 2009.
L’histoire : Découvrez la vie et le destin de Sarah Bernhardt, la Divine, de son enfance à sa consécration comme "monstre sacré" du Théâtre, de ses échecs jusqu’à un succès qui dépassa les frontières.
Le rideau se lève sur une scène nue. Ou plutôt dénudée : seuls un piano à queue et quelques tabourets de pianiste l’occupent. Dans cet espace, deux personnes : Damien Roche, attelé à son instrument; et surtout Jérôme Pradon.
En une fraction de seconde, il envahit le théâtre de sa présence.
En Breton, il engage avec lui-même le dialogue entre la petite Sarah Bernhardt, enfant boudeuse, et sa nourrice.
C’est ainsi que débute ce long monologue schizophrène qui va captiver le public pendant près de deux heures…
L’Opéra de Sarah, c’est une œuvre qui s’ouvre donc sur une scène d’une grande sobriété, et la pièce toute entière se révèle habitée de la même finesse.
"Finesse" est véritablement le mot qui saurait le mieux la définir : finesse de l’écriture d’Alain Marcel, qui manipule les mots avec une maîtrise éblouissante; finesse de la partition qui s’invite avec la plus grande discrétion et fait basculer le théâtre dans la comédie musicale sans qu’on s’en rende compte; finesse du jeu de Jérôme Pradon, qui, sans répit, passe d’un personnage à l’autre, avec une aisance déconcertante; finesse de la scénographie, qui ne s’encombre pas de chichis mais qui vient le plus intelligemment du monde être appuyée et transcendée par des lumières formidables.
Derrière tant de superlatifs, n’allez pas croire que L’Opéra de Sarah se la joue et cherche à épater : le mot d’ordre, je viens de le dire, c’est la finesse.
Cette pièce de théâtre musicale ne cherche pas à faire la démonstration du talent de son interprète, ni à démontrer la prouesse de l’auteur qui est parvenu à inventer ce texte pour le confier dans les mains d’un seul homme.
Car, vous l’avez saisi, Sarah Bernhardt, ainsi que toutes celles et ceux qui ont jalonné son parcours, est jouée par un homme. Un choix périlleux qui apparaît comme une évidence tant le résultat est admirable. Finalement, ce paradoxe des genres amène naturellement le spectateur à s’imaginer les gens, les lieux, les situations, et c’est à travers ce puissant pouvoir d’évocation que la pièce révèle toute sa force.
Jérôme Pradon nous donne à voir, tour à tour, la campagne bretonne, les Grands Boulevards Parisiens, les loges vides, les bals princiers, Alexandre Dumas, Victor Hugo, George Sand, la reine Victoria… et on y croit. Tout et tous s’agitent devant nos yeux, et la pièce en devient spectaculaire.
Tout cela avec un seul homme au centre de la scène, un Jérôme Pradon qui révèle toute la mesure de son talent, passant du petit garçon à la grand-mère, de la Sarah effrontée aux Grands de ce monde, sans fausse note, au sens figuré comme au sens propre.
Ses qualités de chanteurs ne sont plus à démontrer, et sa voix sert à merveille le texte et la musique d’Alain Marcel.
Jérôme Pradon est un artiste phénoménal, qui passe de productions d’auteurs comme Le Cabaret des Hommes Perdus (de Jean-Luc Revol et Christian Siméon) en France, aux scènes monumentales des grosses productions londoniennes comme The Lords of the Ring (Le Seigneur des Anneaux).
Sa prestation dans L’Opéra de Sarah ne devrait pas passer inaperçue, et on ne peut pas imaginer qu’elle ne soit pas appréciée et reconnue par le public, ni la profession : on se prend alors à espérer voir Jérôme Pradon nominé aux Molières, aux Marius… si ce n’est en remporter les prix !
On attend avec impatience de découvrir la suite de cet opéra, qui tout naturellement devrait nous emmener outre-Atlantique, où le destin de celle qu’on appelait la Voix d’Or s’est poursuivi.
Dans la salle, la moyenne d’âge du public surprend le jeunot que je suis : autour de moi, des Messieurs et Mesdames d’âge mûr, venus sans doute pour voir prendre vie le destin de l’incroyable Sarah Bernhardt.
Aux plus jeunes d’entre vous, je peux le dire : cherchez, cherchez bien. Vous ne connaissez pas Sarah Bernhardt ? Vous allez la découvrir de façon incroyable ! Vous n’aimez que les grosses productions tape-à-l’œil ? L’Opéra de Sarah est spectaculaire et en met plein la vue sans besoin d’artifices. Vous n’aimez pas la comédie musicale ? Vous oublierez bien vite vos idées préconçues sur ce genre.
Cherchez : vous ne trouverez que de mauvais raisons pour ne pas aller voir L’Opéra de Sarah au Théâtre de l’Œuvre.
Mais si vous suivez mes conseils, alors vous aurez la chance de ne pas passer à côté d’une pièce extraordinaire, et vous aussi, lorsque le rideau tombera, vous applaudirez à tout rompre et hurlerez "Bravo !" comme le reste d’une salle tombée sous le charme.
Photo : Éric Devert