Le Théâtre Mogador accueille depuis le 19 octobre dernier Mamma Mia!, musical culte s’il en est. Couronné de succès dans le monde entier depuis sa création il y a dix ans, il a connu un départ tonitruant pour ses débuts parisiens, la billetterie affichant complet quasiment jusqu’en janvier. A spectacle exceptionnel, critique exceptionnelle : nous avons mobilisé cinq chroniqueurs – néophytes ou connaisseurs du spectacle – sur quatre représentations pour vous proposer un point de vue complet.
Dès les premières notes et jeux de couleurs sur le rideau fermé, les frémissements dans la salle se font sentir au fur et à mesure que le public reconnaît les thèmes cultes d’ABBA. On sent qu’il est déjà acquis à la cause avant même le début du spectacle ; les attentes sont donc bien présentes. Quelle est la réponse donnée par la troupe montée par Stage Entertainment ?
Mamma Mia!, une formule gagnante
Premier élément, l’ambiance est indéniablement au rendez-vous, et on se laisse facilement emporter par le spectacle. Même si l’histoire à l’eau de rose ne va pas passionner tout le public, elle intègre bien les chansons du groupe mythique qui donnent presque l’impression d’avoir été écrites pour le musical. Réaction épidermique aux rythmes entraînants d’ABBA, les applaudissements vont bon train pendant les 2h30 de spectacle.
Cette comédie musicale raconte l’histoire de Sophie, une jeune fille qui habite sur une île grecque avec sa mère Donna. Sophie n’a jamais su qui était son père mais découvre dans le journal intime de sa mère qu’il y a trois candidats potentiels qu’elle décide d’inviter à son mariage…
Le premier acte brosse le portrait des différents personnages : complicité, émotions et humour sont au rendez-vous de ces retrouvailles plutôt inattendues. Il se termine sur la soirée des enterrements de vie de jeune fille et de garçon, un tableau rythmé, chorégraphié et surtout très drôle. La deuxième partie et le dénouement de l’intrigue passent ensuite comme une lettre à la poste. Certains d’entre nous ont cependant trouvé le rythme moins soutenu, sans doute liée au rythme des chansons, globalement plus lent et mélancolique dans ce second acte.
Le final s’achève sur un medley de « Dancing Queen » et « Mamma Mia », puis par le retour coloré des trois pères sur « Waterloo ». Une avalanche de cotillons dorés tombe du ciel du Théâtre Mogador pendant que le public applaudit debout. Mamma Mia! c’est le train de la vie, vous montez, admirez le spectacle et raccrochez vos propres souvenirs aux chansons…
Abba en français ? Ça fonctionne
Nicolas Nebot peut s’enorgueillir de signer une adaptation très réussie des paroles des chansons d’Abba, le spectateur laissant rapidement ses applaudissements en suspens pour accorder toute son attention aux paroles. A moins d’avoir vu le spectacle en anglais dix fois et de connaitre le CD par cœur, on n’est finalement pas gêné par la traduction. Au contraire, Mamma Mia! est l’occasion pour ces nombreuses personnes, fâchés avec les langues étrangères et particulièrement l’anglais, qui ont toujours chanté en « yoghourt » les chansons d’Abba, d’en comprendre enfin le sens ! Quelques titres apparaissent plus laborieux, comme « Dis-moi à quoi tu joues » (« The Name Of The Game ») ou « Qui je suis ! Qui sommes-nous ? » (« Knowing Me, Knowing You ») où la rythmique française s’accorde moins bien avec la mélodie.
Au-delà des chansons et des scènes de danse qui font le dynamisme de ce spectacle, les scènes de comédie sont drôles et émouvantes. Stéphane Laporte transpose bien l’humour pour le public français. Cependant, un langage assez cru dans les dialogues parlés qui ne se retrouve pas dans les paroles des chansons a déstabilisé certains d’entre nous. Finalement, cela donne tout de même une belle crédibilité dans le jeu et dans les discussions.
Des interprètes à la hauteur
Stage Entertainment a réussi à réunir des artistes talentueux et polyvalents : la troupe dégage un beau dynamisme, beaucoup d’énergie surtout sur les chorégraphies parfaitement rodées. La vraie révélation est sans aucun doute Claire Guyot (Donna) qui interprète ses chansons avec une grande maîtrise vocale (certains téléspectateurs auront reconnu la voix française de Teri Hatcher de la série Desperate Housewives), mais aussi avec beaucoup d’émotion. Elle montre l’étendue de son talent sur « La loi du plus fort » (« The Winner Takes It All ») – probablement la plus réussie par Nicolas Nebot -, durant laquelle elle donne la chair de poule au public.
Chez les hommes, Jérôme Pradon ne faillit pas à sa réputation, impeccable vocalement et dans le jeu dans un rôle d’amoureux tout en retenue. Karen Gluck (Rosie) amène toute la fantaisie et l’humour nécessaires à ce spectacle pour qu’il soit autant comédie que musical. Gaëlle Gauthier, qui incarne Sophie, nous a convaincus par son enthousiasme, même si certains à la rédaction ont trouvé qu’elle manquait un peu de puissance. Davantage comédiens que chanteurs, les deux autres pères rencontrent quelques difficultés vocales, qu’ils semblent déjà corriger après quelques représentations. Ils trouvent d’ailleurs subtilement le moyen d’en jouer, comme sur « Ma Vie c’est la musique » (« Thank You For The Music »).
Une scénographie décevante – des places trop chères
A l’instar de ce qui avait été fait sur Le Roi Lion, Stage Entertainment a choisi de reproduire à l’identique scénographie, mise en scène et chorégraphies. De l’avis de ceux qui ont découvert Mamma Mia! au Théâtre Mogador – néanmoins habitués à l’esthétisme des produ
ctions de Stage Entertainment (Zorro ; Le Roi Lion) -, on s’attend à en prendre plein les yeux. Pourtant, la scène reste assez nue et des effets visuels de changements de décor auraient rajouté de la magie à ce spectacle.
Les plus avertis d’entre nous – qui ont vu Mamma Mia! dans différentes productions à l’étranger – regrettent plus précisément que le décor des tournées, plus léger et épuré, ait été conservé. Le résultat, assumé par le metteur en scène Paul Garrington, en ressort trop peu varié et répétitif. Manquent en particulier des décors motorisés, des lumières sous la scène ou laser, un ponton mobile, investissements auxquels on aurait pu légitimement s’attendre au vu des prix pratiqués (de 25 € à 99 € pour le carré or). A titre de comparaison, les places les plus chères sont respectivement de 64 £ à Londres (soit environ 74 €) et de 127 $ à Broadway (soit environ 91 €), productions qui proposent ce décor plus sophistiqué. La version française est donc la plus chère du monde, sans bénéficier de la plus belle scénographie…
Autre point polémique, la diffusion de chœurs enregistrés en soutien de l’ensemble, notamment pendant les tableaux dansés, n’est pas accueillie avec indulgence. Il semblerait pourtant que ce soit le cas pour l’ensemble des productions de Mamma Mia! dans le monde, sauf celles de Londres et de Broadway. De l’aveu de certains membres de la troupe, ce soutien a vraiment été nécessaire surtout sur les premières représentations. En contrepartie, le rendu des ensembles est très lisse, ce qui tranche avec les solos des rôles titres.
Enfin, peut-être corollaire d’un orchestre relativement restreint, l’utilisation à outrance du synthétiseur est presque comique, surtout au tout début. Même si les réglages son devraient s’améliorer au fil du temps, le démarrage en fanfare – et surtout en décibels ! – du second acte en a fait sursauter plus d’un.
Conclusion : un évènement à ne pas manquer
Que penser au final de ce Mamma Mia! parisien ? Néophytes et connaisseurs s’accordent sur la qualité intrinsèque du spectacle, ainsi que sur la belle performance de Nicolas Nebot et Stéphane Laporte sur l’adaptation très réussie du spectacle. Autre point fort de cette production, la troupe composée d’artistes de très grand talent, menés par la révélation Claire Guyot, et qui prouve que la France possède aujourd’hui un vivier d’artistes pluridisciplinaires.
En revanche, nous avons été globalement déçus par la scénographie, déception accentuée au regard de ce qui est proposé à Londres et à Broadway – mais qui ne gênera pas outre mesure. Malgré le bien-fondé apparent de cette décision, nous aurions également préféré que la production n’ait pas recours à des chœurs enregistrés. Ce fait illustre probablement le chemin qu’il reste à parcourir pour se hisser au niveau des musicals anglo-saxons.
Mais ne boudons pas notre plaisir : cette critique s’appuie sur quatre représentations, au cours desquelles la salle était pleine à craquer et le public survolté, acclamant les artistes tels des stars de rock à la fin. Que l’on l’ait déjà vu, Mamma Mia! reste un pur moment de jubilation, et il serait dommage de se priver d’une soirée si rafraichissante.
Critique rédigée par Benoit Tourné, Sophie Dussaussoy, Judith et Samuel Sebban avec le concours de Guillaume Couture, basée sur les représentation des 21, 28, 30 octobre et 2 novembre.
Crédits photos : Sophie Dussaussoy et Samuel Sebban