Après Norman Bates, Nancy Kerrigan et les supers-héros, Marc Lainé clôt en musique son cycle inspiré par la culture populaire américaine. Un bel exercice servi par la musique live du groupe Moriarty, en anglais surtitré, à découvrir au Théâtre de la Bastille.
Une chambre de motel, trois personnages, de multiples possibilités.
Le projet prend forme quand Marc Lainé commence à imaginer quelle pourrait être l’histoire racontée par l’album The Missing Room du groupe franco-américain Moriarty, qui avait déjà composé pour lui la musique de la pièce La Nuit, un rêve féroce en 2008. Il choisit ici de nous en proposer 13 saynètes aux accents de film noir américain, scandées par une lancinante musique blues qui parfait l’ambiance à la Hopper.
Une femme et un homme entrent dans une chambre d’hôtel et une conversation commence ; très vite, elle s’envenime, la fille sort un flingue et…
Si Memories from the Missing Room s’installe sur des bases de théâtre classique, (personnages, décors, entrées et sorties) on se trouve très vite entraînés vers une structure labyrinthique et sombre, un puzzle avec ces éléments posés au départ que l’on va mélanger sans scrupules au fil de la pièce. Sont-ce les mêmes personnages (le vieux mari, la jeune femme et un potentiel amant ) ? Est-ce toujours la même chambre de motel impersonnelle typiquement américaine ? Peut-on situer la scène dans le temps ? Interrogations rappelant souvent les films de David Lynch, chacun se voit libre de constituer sa petite mythologie personnelle en découvrant la pièce. Atmosphère noire et intrigante pour ces saynètes dont souvent l’issue est dramatique, menant à la mort, ou au cauchemar, deux voies inéluctables dans cette ambiance de roman noir américain.
On ressent ainsi une grande influence cinématographique tant dans la construction de la pièce (qui rappelle Quentin Tarantino pour son côté déstructuré et Lynch pour les questionnements soulevés par les différentes séquences) que dans ce choix de décor fixe comme un plateau de cinéma. La musique prend évidemment une très grande place, presque personnage à part entière, entre chœur antique et conscience noire, rythmant la pièce tout en lui imprimant une identité US indéniable.
L’incursion d’animations et dessins réalisés en direct par le dessinateur Philippe Dupuy est intéressante, sans véritablement apporter d’intérêt supplémentaire, si ce n’est onirique, à un concept déjà assez complet de théâtre contemporain.
Entre les scènes et grâce à un plateau mobile s’intercale la musique live de Moriarty, posant définitivement l’ambiance populaire américaine, au son de la Dobro et de la voix si joliment désuète de la chanteuse Rosemary Standley. Puis elle prend progressivement de plus en plus de place, telle une bande originale de film qui met l’accent sur un instant précis ou qui accompagne la scène, avec des incursions du groupe dans le décor ou des personnages sur la scène de concert. On regrettera cependant que la sonorisation ne permette pas vraiment entendre les paroles, et qu’elles ne soient pas surtitrées [NDLR : à la différence des scènes de théâtre, interprétées dans un anglais accessible, qui le sont], tant l’album et sa "traduction scénique" sont liés.
Car même si à la lecture attentive des paroles on ne retrouve pas intuitivement les liens imaginés par Marc Lainé pour faire naître ce projet, il n’en reste pas moins qu’on a vu là un spectacle séduisant, par lequel on se laisse volontiers porter pour peu qu’on ne soit pas fermé aux nouvelles formes de théâtre contemporain. À conseiller absolument aux curieux d’expériences théâtrales et aux amateurs du groupe, ainsi qu’aux amoureux d’atmosphères de romans noirs.
Crédit photo de l’affiche : Huma Rosentalski
Photo 1 : Fabienne Automarchi
Photo 2 : Stephen Zimmerli
Memories from the Missing Room, de Marc Lainé
Du 10 septembre au 7 octobre 2012 à 21h, le dimanche 7 octobre à 18h
Relâche les 12, 16, 19, 23, 26, 30 septembre et 4 octobre
Au Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette – 75011 Paris
De 18 à 27€
Écrit et mis en scène par Marc Lainé ; dessins : Philippe Dupuy ; musique : Moriarty ; lumière : Kelig Le Bars ; son : Morgan Conan ; vidéo : Baptiste Klein ; collaboration artistique : Tünde Deak
Avec : Moriarty, Philippe Dupuy, Geoffrey Carey, Priscilla Bescond, Philippe Smith