Dans ce "sous-genre" qu’est souvent considéré le jukebox musical, l’essentiel se trouve dans la connexion avec la mémoire affective du public, bien plus que dans la profondeur du livret. Motown le Musical, qui arrive au Shaftesbury Theatre trois ans après sa création à Broadway, en est le parfait exemple.
Dès la première note jouée par le fabuleux orchestre dirigé par Gareth Weedon, Motown le Musical emmène le public en terrain inconnu. Pourtant, le musical Dreamgirls (qui sera au Savoy Theatre la saison prochaine avec Amber Riley) dramatisait déjà l’univers de la ville américaine de Motown en s’appuyant sur une histoire librement inspirée de la réalité à partir d’une partition originale.
Au niveau du style, tout est ici au "top niveau", qu’il s’agisse des perruques de Charles G Lapointe, des excellents costumes de Esosa ou des chorégraphies accrocheuses et précises réglées par Patricia Wilcox et Warren Adam. Les danses sont parfaitement exécutées par un ensemble talentueux dont l’énergie surpasse bien les modèles de l’époque.
Tous ces éléments sont présents des les premiers scènes, où nous assistons à la confrontation de deux groupes : Les Temptations et les Four Tops, pendant la répétition du concert de 1983 à l’occasion du 25ème anniversaire du Motown.
C’est à cette occasion que Barry Gordy, le fondateur du label Motown, se penche sur le chemin parcouru depuis ses débuts à Detroit jusqu’à devenir le patron d’une grande société force de la musique populaire. Tout cela, en brisant au passage certaines barrières du racisme…
Si la mise en scène de Charles Randolph-Wright est toujours efficace, elle n’est pas toujours inspirée. On peut d’ailleurs dire la même chose du livret de Gordy qui n’évite pas toujours les clichés et reste un peu mince, effleurant seulement les problèmes sociaux et politiques. Ces derniers étaient même mieux développés dans Memphis, le précédent musical qui occupait ce même théâtre londonien il y a peu.
Ceci est moins important pour le premier acte, qui empile les tubes des Supremes, de Marvin Gaye et de Smokey Robinson, que pour le deuxième acte, où le livret devient plus franchement nombriliste et trop centré sur la relation de Gordy avec Diana Ross et le début de sa carrière solo. Il est en fait difficile de s’attacher émotionnellement aux personnages, bien qu’ils soient toujours brillamment interprétés par une troupe ne tombant jamais dans le piège de l’imitation.
Très fort vocalement, Cedric Neal réussit à donner des nuances au personnage de Gordy, pourtant quelque peu unidimensionnel et pas toujours sympathique. Lucy St Louis est également remarquable dans son interprétation de Diana Ross et Charl Brown fait un sympathique Smokey Robinson. Jordan Shaw, remplaçant Sifisao Mazibuko dans le rôle de Marvin Gaye le soir où nous l’avons vu, évoque bien le génie torturé tandis que Kwame Kondekore mérite une mention spéciale pour son interprétation du jeune Michael Jackson.
Il est vrai que d’autres "jukebox musicaux", comme Jersey Boys et Beautiful, ont des livrets plus élaborés mais il faut reconnaître que peu d’entre eux additionnent autant de tubes dans un même spectacle. La question à se poser serait plutôt : "pourquoi le public devrait-il maintenant connaître les chansons avant d’aller voir un musical ?" Ceci est le drame de ce nouveau siècle et le plus grand ennemi de la création dans le théâtre musical. Motown promet de jouer à guichets fermés pendant de longs mois, voire des années ! Attendons de voir que le public réservera l’année prochaine à Dreamgirls vu que sa brillante partition lui sera moins connue, quoique, qui sait avec l’adaptation du film avec Beyoncé ?
Crédit photos : Alastair Muir
Motown, the musical
Au Shafestbury Theatre jusqu’au 18 février 2017
210 Shafestbury Avenue,
Londres
Avec : Lucy St Louis (Diana Ross), Cedric Neal (Berry Gordy), Charl Brown (Smokey Robinson), Sifiso Mazibuko (Marvin Gaye)