John Adams, l’un des plus grands compositeurs contemporain américains, invente un genre musical nouveau, l’Opéractu, actuellement visible au Théâtre du Châtelet dans une production originale.
Nixon in China, un objet lyrique non identifié ?
C’est une entreprise audacieuse de la part de Jean-Luc Choplin de présenter dans son théâtre du Châtelet, une nouvelle production de Nixon in China, le premier opéra de John Adams. Ce n’est pas une œuvre facile. Non pas du fait de la musique, agréable à écouter bien qu’avant-gardiste, mais en raison du livret qui a pour sujet un évènement d’actualité : la rencontre entre Nixon et Mao, en 1972, en pleine guerre froide, tandis que les forces américaines menaient une guerre meurtrière contre les communistes du Vietnam du Nord.
L’œuvre a le mérite de mettre en lumière un épisode de l’histoire du XXème siècle qui a modifié l’équilibre des pouvoirs dans le monde mais cette rencontre est elle matière à écrire tout un opéra ? C’est la question que je me suis posée tout au long de la représentation, du moins dans les moments de lucidité où je ne mobilisais pas toutes mes forces pour lutter contre le sommeil. Et pourquoi pas un opéra sur la dernière réunion du G20, me disais-je?
Sans doute la librettiste — la poétesse Alice Goodman — a tenté de rendre les protagonistes sympathiques et humains, en leur permettant d’exprimer leurs états d’âme et leurs pensées intimes (complètement déconnectés de l’évènement historique qu’ils sont censés vivre). Mais cela ne suffit pas à rendre émouvant cet évènement d’actualité. Qu’il soit un sujet de dissertation passionnant pour des étudiants en histoire, soit, mais pas la trame du "grand opéra américain du XXème siècle" comme le prétendent quelques mélomanes !
Car de quoi s’agit-il ? D’une visite d’État. Et qui plus est une visite dans un pays gouverné par un dictateur momifié où le culte de la personnalité tient lieu de religion.
Toute l’action de Nixon in China se résume à des discours. Quoi de plus statique ? Que dis-je, de fossilisé ! Nixon in China est un opéra où il ne se passe rien d’imprévu, ni de dramatique. La visite par Pat Nixon d’une usine, d’un élevage de porc et d’une maternité, suivi de la représentation d’un ballet révolutionnaire conçu par la femme de Mao, constituent le pic de l’action dramatique.
Les personnages inspirent la pitié ou la terreur. Nixon à qui revient la paternité de l’idée de la rencontre, et qui théoriquement devraient en récolter les fruits, nous rappelle une marionnette du Bébête Show avec son sourire plaqué Gibbs et son obsession pour les médias. Pat Nixon en manteau orange, sac à main et gants fushia en dépit du charisme de June Anderson, est une créature falote. Mao une sorte de bouddha physiquement et mentalement sclérosé tient des propos incompréhensibles. Quant à sa femme, elle est tout bonnement glaçante. Kissinger, conseiller spéciale du président pour la sécurité, est un pantin aux allures de DSK. Seul personnage à s’interroger sur l’utopie communiste, Zhou Enlai tire son épingle du jeu.
Heureusement, il reste la musique. Marqué par le courant minimaliste d’une poignée de compositeurs américains tout au long du XXème siècle déformés par la technologie et la vitesse, Adams reste néanmoins attaché à un certain classicisme. Outre les thèmes répétitifs des minimalistes, dans sa musique se mêlent des tonalités avant-gardistes européennes (Mahler, Sibelius, Wagner), mais aussi de jazz ou de rock, qui la rendent très séduisante. Il est considéré comme l’un des grands musiciens de notre époque, et sans doute du monde, tant il est vrai que c’est des États-Unis que nous est venue la musique la plus inventive du XXème siècle.
C’est le réalisateur Peter Sellars qui proposa à Adams le thème de la visite de Nixon en Chine pour écrire un opéra. Il se chargea de la mise en scène et la première mondiale eut lieux à Houston en 1987. À l’époque l’œuvre fit sensation, en particulier, l’arrivée au premier acte du Président des États-Unis débarquant de son Boeing présidentiel.
Le fait que dans la production du Châtelet, au lieu de l’atterrissage en direct du Boeing sur la scène, on nous livre les Nixon dans une nacelle comme des Dieux descendus de l’Olympe, a provoqué quelques éclats de rire dans la salle. Le livret versifié en distiques (NDLR: un distique est un groupe de deux vers ; d’une manière générale, ces deux vers riment ensemble et forment un sens complet) est terriblement verbeux et souvent obscure. Le metteur en scène a fait ce qu’il a pu avec un livret et une histoire très statique.
Les interprètes sont tous irréprochables vocalement. La voix de colorature, aux aigus pure comme un diamant, de Sumi Jo convient parfaitement au personnage implacable de Madame Mao. Le ténor coréen, Alfred Kim, est mieux que crédible en Mao. Franco Pomponi qu’on a déjà entendu la saison dernière au Châtelet dans le rôle titre de Sweeney Todd, ne déçoit pas dans le rôle de Nixon. Le baryton basse Peter Sidham campe un Kissinger ambigu et plus vrai que nature. La voix toute en finesse au legato parfait, rend justice au personnage finalement le plus normal, Zhou Enlai. Avec sa voix légère et graçieuse, June Andersen incarne à la perfection une Pat Nixon docile et un peu larguée.
C’était une curieuse idée finalement de créer un opéra autour de Richard Nixon, président américain de triste mémoire, forcé à la démission et dont la mandature s’acheva dans la honte et le scandale. Mais si un pharaon d
’Égypte, un tzar russe, un roi d’Écosse donnent matière à écrire un grand opéra, pourquoi pas le 37ème président des États-Unis ? À ceci près que Nixon in China séduit davantage par sa musique que par l’intérêt dramatique du sujet.
Crédit photos : Marie-Noëlle Robert / Théâtre du Châtelet