Le metteur en scène Nicolas Morvan propose à la Manufacture des Abbesses une "pièce avec des chansons" écossaises avec cette Nuit d’Été qui entraîne un couple incongru de trentenaires dans une suite de rebondissements.
Le désespoir d’une nuit d’été pluvieuse pousse Helena, avocate au bord de la crise de nerfs trop attachée à un amant absent, à passer la nuit avec l’inconnu Bob, petit malfrat mouillé dans des histoires de trafics de voitures volées.
La rencontre improbable aurait pu s’arrêter au petit matin, une fois l’alcool et le mal-être dissipés… mais c’était sans compter sur le destin qui va réunir de nouveau ces deux âmes perdues, au milieu de leur vie, pour une nuit endiablée où tout est permis.
La pièce s’ouvre sur les narrations croisées des deux personnages qui, parlant d’eux-mêmes à la troisième personne, se lancent dans le récit de leur rencontre avec la malhonnêteté de ceux qui veulent rendre légendaire l’histoire la plus folle de leur vie. En quelques échanges, allers-retours et confidences, les deux comédiens nous emportent avec leurs personnages attachants confrontés à la dure réalité de leurs vies une fois arrivés à l’année charnière de leurs trente cinq ans.
Dans le rôle d’Helena, Patricia Thibault joue les avocates charismatiques avec élégance et nuance, lâchant quelques jurons savoureux qui contrastent avec son apparente maîtrise, et laissant entrevoir peu à peu le terrible secret que la femme de loi n’ose pas s’avouer à elle-même. Face à elle, dans un registre plus gauche et rock, Renaud Castel (La Petite Boutique des Horreurs ; Ladies Night) campe un adorable Bob, sans repères, pris au piède de la spirale sans fin de la délinquance. Leur nuit de passion désinhibée les rapproche pour un court instant, mais ce sont les péripéties farfelues venues pourrir leur vie le lendemain qui scelleront définitivement leur rencontre et leur destin.
Si certains thèmes (comme la rencontre impossible de deux individus, leurs solitudes, le contexte géographique, la musique…) rapprochent les deux œuvres, l’écriture de Nuit d’Été (Midsummer), profondément moderne et farfelue, pose la pièce comme l’anti-Once* ultime.
Le texte de la pièce est signé par l’auteur écossais David Greig, qui rédige actuellement le livret de la comédie musicale Charlie and the Chocolate Factory aux côtés de Sam Mendes (Cabaret), March Shaiman et Scott Wittman (Hairspray ; Smash). À la lenteur et au romantisme désuet du film irlandais, le "théâtre en chanson" de David Greig oppose un texte riche et dense, un rythme effréné et un humour ravageur, bien d’aujourd’hui. Dans une forme de naturalisme humoristique, les personnages se lancent dans des descriptions et des énumérations hilarantes qui posent un langage unique et hilarant. Tout y est permis, y compris les situations les plus absurdes et improbables dans un club sado-maso fréquenté par les Gothiques, ou comme le dialogue croustillant dans lequel Bob se lance avec… son "zob" !
Au fil de la pièce, le duo impossible se dévoile tout doucement, prouvant si c’est encore utile que se "mettre à nu" demande aujourd’hui plus d’effort et de confiance que de "se mettre tout nu" et s’envoyer en l’air. Et derrière leurs fêlures, leurs rêves oubliés et leur résignation désenchantée, se cache une question universelle : arrive-t-il un jour où il est trop tard pour vivre sa vie ? ou est-ce qu’à trente cinq ans on a encore le droit de tout envoyer en l’air ?
La musique originale de Gordon McIntyre, composée avec l’auteur de la pièce dont il est ami, ponctue Nuit d’Été de ritournelles peu nombreuses et malheureusement peu mémorables. Le style musical emprunte à la folk ses mélodies, évoque en filigrane la ville d’Édimbourg où l’intrigue se déroule, mais ne parvient pas à créer des moments de théâtre musical convaincants.
Cela tient en grande partie à la mise en scène qui intègre maladroitement les séquences chantées au reste de la pièce : face au public, statiques, armés de leur ukulélé et de leur guitare, les deux comédiens donnent l’impression d’abandonner leurs personnages le temps d’une chansonnette. Si l’on sent que leur interprétation souffre quelque peu d’un manque de direction musicale et de coaching vocal, ils se montrent néanmoins à l’aise dans l’exercice de la chanson et savent, avec leur maladresse, apporter un peu de candeur et de réalisme à leurs élans chantés.
N’hésitez cependant pas à aller découvrir cette pièce charmante qui dresse un portrait drôle et fantaisiste des trentenaires célibataires et de leurs aspirations.
* Film irlandais de John Carney sorti en 2006, adapté sur scène à Broadway en 2012, couronné de deux Tony Awards la même année, et attendu à Londres ce printemps.
Nuit d’Été, de David Greig et Gordon McIntyre
Du 3 janvier au 24 février 2013
À la Manufacture des Abbesses
7 rue Véron – 75018 Paris
Les jeudi, vendredi et samedi à 21h, le dimanche à 17h.
Livret et paroles : David Greig ; musique : Gordon McIntyre ; traduction : Dominique Hollier ; mise en scène : Nicolas Morvan assisté de Claire Merviel ; création lumière : François Leneveu.
Avec : Patricia Thibault et Renaud Castel.