Depuis le 22 avril 2011, le Châtelet accueille la première création à Paris de Sweeney Todd, considéré par certains comme une des œuvres les plus emblématiques de Stephen Sondheim.
Une œuvre entre musical et opéra
Dans les bas-fonds du Londres du XIXème siècle, un tueur aveuglé par la haine sévit. Le barbier et arracheur de dents Sweeney Todd tranche des gorges à tout va alors que sa complice, l’aubergiste Mrs. Lovett, trouve une façon pour la moins inattendue d’accommoder les restes de ces forfaits… Créé en 1979 à Broadway, Sweeney Todd est décrit comme un thriller musical signé Stephen Sondheim (paroles et musiques) et Hugh Wheeler (livret) et adapté d’un conte populaire anglais. La version originale avec Len Cariou et Angela Lansbury a remporté 8 Tony Awards, dont celui du meilleur musical. Reprise de nombreuses fois à travers le monde, l’œuvre a également fait l’objet d’une réinterprétation cinématographique par Tim Burton (avec Johnny Depp et Helena Bonham Carter) en 2007.
Des interprètes de première classe
Rod Gilfry, en alternance avec Franco Pomponi, délivre une interprétation toute en retenue du héros démoniaque. On aurait peut-être préféré entrapercevoir la folie grandissante du personnage, notamment lors de passages chantés comme "My Friend" ou "Epiphany" qui sont de véritables véhicules pour exprimer une vaste amplitude d’émotions complexes. Dans le rôle de Mrs. Lovett, Caroline O’Connor excelle. Pour "The Worst Pies in London" ou "By the Sea", elle libère tout le potentiel comique de ce personnage, sorte de Thénardière cannibale en mal d’affection, que le spectateur adore détester. Les seconds rôles ne sont pas en reste. On notera par exemple Pascal Charbonneau très émouvant en Tobias ("Not While I’m Around" est restitué à la perfection) et Nicholas Garrett vocalement infaillible dans le rôle d’Anthony. On pourra juste regretter un léger souci de sonorisation des micros lors de certaines séquences musicales qui peuvent rendre certains quartets un peu brouillon ("Ah Miss").
Une luxueuse production
Lee Blakeley (metteur en scène de A Little Night Music la saison dernière) brille par son sens de la précision, son élégance et sa finesse. Sa mise en scène fait la part belle aux émotions ambiguës et aux ambiances embrumées. L’Ensemble Orchestral de Paris (qui sera succédé par l’Orchestre Pasdeloup à partir du 11 mai) contribue à la richesse musicale de la présentation de cette œuvre flirtant avec le lyrique. Or, vous ne trouverez pas ici d’effets grandiloquents ni de grands changements de décors. Même si Sweeney Todd est un hommage amusé au genre sanglant un peu oublié du grand-guignol — il suffit de voir les scènes de meurtre se succéder dans le cabinet du barbier — paradoxalement, la noirceur du récit est contrebalancée par une luminosité suggérée et quasi omniprésente. Faut-il y voir une métaphore avec un quelconque espoir d’issue heureuse ?
Lorsque le compositeur Stephen Sondheim vient saluer lui-même le soir de la première, on se demande pourquoi Paris a du attendre si longtemps avant d’inviter un des plus célèbres tueurs d’outre-Manche.
Sweeney Todd, Le diabolique Barbier de Fleet Street, de Stephen Sondheim et Hugh Wheeler
Au Théâtre du Châtelet
1 place du Châtelet, 75001 Paris
Paroles et musique de Stephen Sondheim, livret de Hugh Wheeler, adapté d’une pièce de Christopher Bond
Mise en scène : Lee Blakeley, décors et costumes : Tanya McCallin, chorégraphie : Lorena Randi, orchestration : Jonathan Tunick, direction musicale : David Charles Abell
Avec : Rod Gilfry ou Franco Pomponi, Caroline O’Connor, Rebecca Bottone, Nicholas Garrett, Jonathan Best, John Graham-Hall, Rebecca de Pont Davies, David Curry, Pascal Charbonneau
Ensemble orchestral de Paris, puis Orchestre Pasdeloup
Du 22 avril au 21 mai
De 20 € à 101,50 €