Depuis 25 ans déjà, The Phantom of the Opera figure au panthéon de la comédie musicale. Son auteur, Andrew Lloyd Webber, imagine sans cesse de quoi renouveller l’intérêt du public : une adaptation au cinéma en 2004, la sortie d’une suite (Love Never Dies), une représentation exceptionnelle filmée en Blu-ray et DVD au Royal Albert Hall pour les 25 ans de la comédie musicale, bientôt une toute nouvelle production dite "spectaculaire" et agrémentée de nouveaux effets pour la tournée britannique à venir… Bref, de quoi aiguiser l’appétit de tous les fans. Mais qu’en est-il de la production originale, celle qui se joue encore aujourd’hui au Majesty’s Theatre à Londres et qui a déjà dépassé les 10.000 représentations, un record dans le West End et à Broadway ?
Un spectacle qui inspire le respect et la curiosité
A l’occasion d’un voyage-concours organisé par France Musique et l’équipe de 42e rue, l’unique émission radio consacrée en France aux comédies musicales, j’ai eu l’occasion de découvrir ce que les fans surnomment affectueusement "The Original". A quelques innovations près, il s’agit en effet de la même production que celle qui a vu le jour le 9 octobre 1986 avec Michael Crawford et Sarah Brightman dans les rôles principaux.
Alors certes, j’ai pu constater sans surprise que le public était composé d’une bonne part de touristes. Difficile en effet pour The Phantom of the Opera de faire le poids face à des nouveautés ou spectacles plus récents qui attirent les plus jeunes et amateurs de comédie musicale (Ghost ; Wicked ; Legally Blonde…). Surtout quand le mot "opéra" figure dans le titre et que le film de 2004 avec Emmy Rossum et Gérard Butler n’a pas franchement contribué à renforcer la notoriété du spectacle. Malgré tout, à l’entrée du théâtre, on ne peut s’empêcher de sentir des sentiments de respect et de curiosité circuler parmi les spectateurs.
À la découverte de la scène, le scepticisme gagne pourtant certains spectateurs. "On dirait un décor de bateau", ai-je entendu près de moi de la part d’un auditeur de France Musique. "Je croyais que c’était censé se dérouler dans un opéra ?" a rétorqué sa voisine. "C’est drôle, il y a des mots qui sont écrit en français", a ensuite ajouté une autre spectatrice, en faisant référence aux draps sur lesquels sont inscrits les termes "Chandelier" et "Boîte à musique". Ces commentaires peuvent faire sourire quand on a déjà vu The Phantom of the Opera sur scène et que l’on connaît la scène d’introduction à venir (spectaculaire, avec le chandelier qui prend vie !) mais, franchement, qui ne s’est pas laissé prendre au jeu ? Rien qu’à voir cette séquence, même si on l’a déjà vue et qu’on s’y attend, rien n’y fait : ça donne des frissons, ça prend aux tripes et c’est terriblement efficace !
Une production vieillissante ?
Avant de rentrer dans les détails, rappelons brièvemment l’histoire du spectacle : adapté du livre "Le Fantôme de l’Opéra" écrit par Gaston Leroux (Le Mystère de la Chambre Jaune ; Le Parfum de la Dame en Noir), l’intrigue se déroule à la fin du XIXe siècle à l’Opéra de Paris, lieu "hanté" par un fantôme qui provoque accidents et meurtres dans l’espoir de faire scintiller une jeune chanteuse, Christine Daaé, sa protégée.
Dès le prologue terminé, l’orchestre — à peine visible, caché sous la scène — entame la fameuse ouverture, l’une des plus célèbres compositions d’Andrew Lloyd Webber à ce jour. C’est là que le bât blesse le plus finalement car, malgré la présence d’un orchestre, la sonorisation au Majesty’s Theatre est si moyenne qu’on a parfois l’impression d’avoir affaire à une bande-son. C’est d’autant plus le cas que des synthétiseurs sont utilisés à plusieurs reprises au cours du spectacle.
Les scènes s’enchaînent ensuite, réglées et exécutées avec professionalisme et minutie. Les costumes sont de toute beauté, en particulier lors de "Masquerade", la séquence d’ouverture du deuxième acte. J’ai toutefois trouvé dommage qu’ils utilisent des mannequins pour jouer un effet de surnombre sur l’escalier, mais mon tort est certainement de faire un abus de comparaison avec la production du 25ème anniversaire filmée au Royal Albert Hall l’an dernier, sachant qu’il y avait facilement une cinquantaine d’artistes durant cette scène !
Earl Carpenter et Sofia Escobar, un duo en argent
Côté distribution justement, je souligne d’emblée qu’avant de voir The Phantom of the Opera à Londres je m’étais habituée aux voix de Ramin Karimloo (dans le rôle du Fantôme) et Sierra Boggess (Christine Daaé) pour les avoir vu dans Love Never Dies et écouté grâce au Blu-ray du 25ème anniversaire du sepctacle. J‘ai donc mis un certain temps à m’habituer au Fantôme d’Earl Carpenter (que j’avais adoré en Javert dans Les Misérables à Paris, lors de leur passage au Théâtre du Châtelet) et, surtout, à la Christine de Sofia Escobar (West Side Story dans la version du 50ème anniversaire qui est passée au Théâtre du Châtelet en 2007).
Son "Think of Me" m’a laissée de marbre, tant au niveau vocal qu’au niveau de son interprétation. Son accent portugais n’a d’ailleurs pas aidé, en particulier durant les scènes de dialogue, bien que par moments cela donne au contraire presque une touche de fragilité à son personnage. Fort heureusement, une fois m’être forcée &agr
ave; oublier son accent et couper court à mes comparaisons avec Sierra Boggess, le top du top au niveau vocal selon moi, Sofia Escobar m’a complètement convaincue, principalement grâce à ses talents d’actrice. Progressivement, elle a dévoilé toutes les facettes que l’on attend d’une Christine Daaé : à la fois vulnérable, objet du désir du Fantôme et femme de convictions, elle se surpasse pour interpréter "Wishing You Were Somehow Here Again" et en fait l’un des plus beaux moments du spectacle.
Ses partenaires masculins sont à la hauteur de leurs personnages. Killian Delly (Les Misérables au Théâtre du Châtelet) se montre séduisant et charmeur en Raoul, tandis qu’Earl Carpenter dégage tout le charisme que l’on attend d’un Fantôme. Toutefois, ce dernier se lâche un peu trop parfois sur les notes en rendant le tout un peu trop pop/rock (Ramin Karimloo est aussi connu pour avoir ce "défaut"), ce qui en soi n’est peut-être pas si étonnant vu qu’il vient de quitter la troupe londonienne de We Will Rock You.
La plupart des rôles secondaires (Carlotta, Monsieur André, Monsieur Firmin…) sont joués par les artistes que l’on peut voir sur le DVD et Blu-ray du 25ème anniversaire. Ils apportent humour et fraîcheur à leurs personnages, ce qui permet de contrebalancer le côté dramatique du triangle amoureux entre le Fantôme-Christine-Raoul.
Une œuvre intemporelle
Quoiqu’il en soit, même si les productions de Broadway, de Las Vegas et certainement celle à venir pour la tournée britannique 2012-2013 de The Phantom of the Opera sont légèrement supérieures à la version originale londonienne (grâce notamment à quelques innovations techniques ou de mise en scène), il n’en reste pas moins que cette production est de très bonne, voire d’excellente facture. Les applaudissements du public sont sincères pour cette production de The Phantom of the Opera qui reste, aujourd’hui encore, l’un des musicals incontournables du West End.
Credit photos : Michael Le Poer Trench
The Phantom of the Opera, d’Andrew Lloyd Webber
Au Majesty’s Theatre (Londres) depuis le 9 octobre 1986
57 Haymarket, London UK
Musique : Andrew Lloyd Webber ; Paroles : Charles Hart et Richard Stilgoe ; Livret : Andrew Lloyd Webber et Richard Stilgoe ; Décors et costumes : Maria Björnson ; Lumières : Andrew Bridge ; Son : Mick Potter ; Direction Musicale : Anthony Gabriele ; Supervision musicale : Daniel Bowling ; Orchestrations : David Cullen et Andrew Lloyd Webber ; Metteur en scène résident : Laurence Connor ; Chorégraphies : Gillian Lynne ; Mise en scène : Harold Prince
Lors de la représentation du 28 janvier 2012 à 14h30, avec : Earl Carpenter (Phantom) ; Sofia Escobar (Christine Daaé) ; Killian Donnelly (Raoul) ; Wendy Ferguson (Carlotta) ; Barry James (Monsieur Firmin) ; Gareth Snook (Monsieur André) ; Annatt Bass (Madame Giry) ; Jeremy Secomb (Piangi) ; Anna Forbes (Meg Giry)