L’année dernière, le Vingtième Théâtre ouvrait sa saison sur les chansons d’un bistro-guinguette provençal. Cette rentrée, c’est un bar de Thaïlande qui est le théâtre d’une comédie en musique consacrée aux coulisses des programmes sanitaires de l’ONU.
Déchu d’une épopée contemporaine en terre d’Afrique sous la bannière de l’ONU, Patrick Roméro, vissé au tabouret du comptoir de l’Australian Pub à Bangkok revit dans les vapeurs d’alcool la gloire de son ascension et sa chute douloureuse…
Aimer le théâtre musical en France, ce n’est pas toujours être aux aguets pour la dernière adaptation d’un show de Broadway : c’est aussi, par curiosité et par passion pour le genre, aller souvent se confronter à des œuvres atypiques au sujet inédit et parfois se laisser surprendre par des thèmes obscurs qui se révèlent fascinants.
Le personnage de Roméro (interprété par Kader Boukahef), playboy flambeur de l’humanitaire international, est prétexte à nous dévoiler le fonctionnement ubuesque des programmes de santé des agences des Nations Unies.
Les procédures et la paperasserie longues et coûteuses, les appels d’offres qui n’en finissent pas, la prudence poussée à l’extrême ridicule des cols blancs de l’humanitaire qui préfèrent s’en tenir à des méthodes ruineuses par crainte d’être accusé de malversation… voilà le tourbillon dans lequel Roméro, qui roule en jaguar et aime parader à la une des journaux, se trouve embarqué quand il accepte d’assumer à Kinshasa la responsabilité d’un programme de lutte contre le Sida, le palu et la tuberculose à 70 millions de dollars.
Un "gros paquet" vient nécessairement avec de "grosses emmerdes", l’avertit son amie Carlotta (Julie Lavergne), directrice de la Fondation de lutte contre le Sida pour l’Afrique de l’Ouest.
Et lorsque Roméro entreprend de gérer son programme comme on gère une grande entreprise, faisant voler en éclat les habitudes éléphantesques de l’ONU en imposant une audacieuse – mais néanmoins controversée – stratégie qui réduit les coûts et accélère le processus, il se retrouve sous l’œil de Paul Harrisson (Jérôme Dupleix), un flic de Scotland Yard formé à la lutte contre la fraude internationale, qui par sa procédure fait suspendre la distribution de médicaments jusqu’à nouvel ordre : tant pis, la transparence prime, les malades attendront.
Inspiré d’une histoire vraie (celle de Roberto Garcia Saez, ex-coordonnateur principal du Fonds Mondial à Kinshasa, auteur du roman ONU soit qui mal y pense dont est tirée la pièce), Transparence met donc l’accent sur l’absurdité du mode de fonctionnement de ces programmes, et leurs procédés nébuleux se retrouvent ici confrontés à la réalité des ONG et des populations qui ne font qu’attendre en vain que les fonds soient débloqués et que l’aide puisse démarrer.
L’auteur égratigne au passage les policiers zélés chargés de mettre au jour les fraudes financières, et dont la quête vorace met à mal, parfois inutilement, le bon fonctionnement des programmes d’aide.
Le thème est complexe, le propos pointu, mais le metteur en scène (et auteur de la pièce) Benoît Guibert réussit avec brio le travail de vulgarisation. Le grotesque de cet univers procédurier dans lequel le moindre faux-pas peut coûter une carrière, si ce n’est la liberté, est appuyé par un second degré omniprésent, des situations comiques en pagaille, et des personnages dont le statut prestigieux n’a d’égal que le ridicule.
Le duo cocasse formé par le pianiste-clown (Hugo Horsin, également compositeur de la pièce) et Harrisson offre à la pièce une légèreté opportune qui contrebalance la lourdeur du sujet. Néanmoins, les gags répétitifs et parfois systématiques manquent de temps à autre leur cible et l’on sent que la pièce s’efforce un peu trop d’être comique à tout prix.
La musique participe elle aussi à cette démarche de rendre abordable au plus grand nombre un thème d’ordinaire réservé à la presse spécialisée.
Pas véritablement une comédie musicale, Transparence est émaillé de numéros de claquettes (dont une marche nuptiale étonnante), percussions africaines, slam, jingles légers, et courtes références rocks et populaires ("Like a Rolling Stone" ; "Blue Suede Shoes" ; Mary Poppins ; "Le Soleil et la Lune" de Trénet). Cinq authentiques numéros musicaux rythment la pièce à la façon de numéros de cabaret qui prendraient vie dans cet Australian Pub thaïlandais.
Hélas, "Le Jaguar et l’Éléphant", pièce maîtresse qui expose l’écartèlement du personnage principal entre les ONG pressantes qui attendant l’aide promise, et les "aristocrates du monde diplomatique" qui ralentissent son travail, tire en longueur pendant d’interminables minutes, sur une mélodie saccadée et lancinante. Travers désormais typique des partitions de théâtre musical à la française, le compositeur signe un air répétitif et lassant qui n’offre pas assez de variation. Lorsque le même thème musical revient ensuite à deux reprises, on en grincerait presque des dents. C’est d’autant plus regrettable que l’ensemble de ses compositions et interventions sur scène sont réussies.
Dans le rôle de Paul Harrisson, l’excellent Jérôme Dupleix tire son épingle du jeu. Du flegme de l’officier de police britannique à ses éclats extravertis en compagnie d’Hugo Horsin, le comédien ne faillait ni dans son interprétation, ni lorsqu’il doit chanter son blues juché sur le comptoir du bar. Sa maîtrise vocale n’est certes pas du niveau d’un comédien-chanteur aguerri à l’exercice de la comédie musicale, mais Jérôme Dupleix sait faire montre d’une véritable aisance en chant.
Le reste de la distribution n’est malheureusement pas meilleur dans cette discipline : l’accent a clairement été mis sur les talents d’acteurs des comédiens au détriment de leurs capacités vocales, un choix regrettable pour une pièce qui offre une telle place à la musique.
Julie Lavergne campe quant à elle une bonne copine un peu snob mais pas coincée pour deux sous qu’il est impossible de ne pas aimer instantanément. Dans les rôles de la femme de Roméro et de son meilleur ami d’enfance, Verana Gros et Olivier Dote Doevi complètent le tableau et s’en sortent honorablement.
Dirigés avec conviction par Benoît Guibert, les comédiens évoluent sur une mise en scène ludique et sympathique ponctuée de trouvailles amusantes dans une scénographie sobre et fonctionnelle. Hélas, la pièce s’achève sur une image maladroite, qui soulève inutilement de nouvelles questions alors que le dénouement semblait jusqu’ici limpide. Difficile de comprendre pourquoi le metteur en scène, qui a si bien traduit l’exigence folle de transparence qui obsède l’ONU, a choisi de nous laisser quitter la salle perturbés par une fin dont les deux dernières secondes sont incompréhensibles, ou du moins, ne mènent pas à une réflexion pertinente.
En dépit de ses quelques défauts et d’un sujet qu’on pourrait croire abstrus, Transparence est une comédie intelligente et divertissante par laquelle il est agréable de se laisser surprendre : une pièce à voir pour découvrir l’envers du décor de l’ONU.
Crédit photos : Charlotte Spillemaecker
Transparence – Une comédie onusienne, de Benoît Guibert d’après le roman "ONU soit qui mal y pense" de Roberto Garcia Saez
Au Vingtième Théâtre
7 rue des Plâtrières 75020 Paris
Du 25 août au 7 octobre 2012
Du mercredi au samedi à 21h30 ; le dimanche à 17h30.
Pelin tarif : 25€ ; tarif réduit : 20€ ; demi-tarif : 13 €
Réservations : points de vente habituels
Écrit et mise en scène par Benoît Guibert ; assistant à la mise en scène : Geoffrey Kuzman ; création musicale : Hugo Horsin ; chorégraphie : Alain Parage ; décor : Bruno Vitti.
Avec : Kader Boukhanef, Olivier Dote Doevi, Jérôme Dupleix, Verena Gros, Hugo Horsin en alternance avec Bastian Verdina, Julie Lavergne en alternance avec Mélissa Broutin.