De « Starmania » à aujourd’hui : une histoire de complicités entre le Québec et la France

Temps de lecture approx. 11 min.

Une longue histoire d’amitié lie le Québec et la France. Au-delà de la langue et des racines communes, plusieurs collaborations artistiques ont également rapproché les Québécois et les Français au fil des années. Et s’il y a un genre qui a été très marqué par ces liens, c’est bien la comédie musicale. Coup d’œil sur cette complicité particulière, de Starmania à aujourd’hui.

Starmania et le tandem Plamondon-Berger

Starmania, œuvre mythique s’il en est une. Si elle a révolutionné le visage de la comédie musicale francophone, elle a aussi marqué un tournant dans les associations artistiques entre le Québec et la France. A la fin des années 1970, Michel Berger souhaite faire une comédie musicale s’inspirant de l’affaire Patricia Hearst. Le seul hic : il ne trouve pas les bons mots à mettre en musique. France Gall lui conseille alors de faire appel à un certain Luc Plamondon, dont elle aime les paroles écrites pour Diane Dufresne. C’est le déclic pour Michel Berger qui décide de contacter le parolier québécois qu’il ne connait pas encore pour lui proposer de coécrire une comédie musicale originale en français. Starmania nait ainsi de cette collaboration artistique entre la France et le Québec.

 

Crédit photo : Yann Matton

Mais ce n’est pas qu’au niveau de la création que cet opéra-rock légendaire unira les deux contrées. Dans la troupe même, les Québécoises Diane Dufresne (Stella Spotlight), Fabienne Thibeault (Marie-Jeanne) et Nanette Workman (Sadia) sont aussi choisies pour jouer aux côtés de Français sur les planches du Palais des Congrès de Paris en 1979. Claude Dubois prête de son côté sa voix au personnage de Zéro Janvier sur l’album studio de 1978, immortalisant entre autres le fameux « Blues du businessman ».

Des amitiés naissent alors au sein de la distribution franco-québécoise, mais aussi des rivalités. Dans son ouvrage Mon Starmania – Par la première serveuse automate (2019), Fabienne Thibeault révèle à ce sujet les « guéguerres » vocales qui existaient entre les uns et les autres. Des conceptions divergentes du travail se confrontent également entre un Michel Berger bosseur et un Luc Plamondon épicurien. Très différents, mais complémentaires, les deux artistes adorent cependant travailler ensemble et réitèrent d’ailleurs l’expérience dans les années qui suivent.

En 1988-1989, une deuxième et nouvelle version de Starmania au Théâtre de Paris et au Théâtre Marigny met encore en vedette des artistes québécois comme Norman Groulx (Johnny Rockfort) et son frère Richard Groulx (Zéro Janvier). Cette nouvelle production permet également d’introduire au public français Martine St-Clair (Cristal) dont la carrière bat son plein dans la Belle Province. La jeune chanteuse reprend le rôle qui l’a révélée dans la version québécoise du spectacle en 1980 quand elle n’avait que 17 ans.

Puis, en 1993, une troisième mouture est cette fois créée au Théâtre Mogador par le metteur en scène québécois Lewis Furey. On y retrouve notamment la franco-ontarienne Luce Dufault (Marie-Jeanne/1993-1995), l’Acadienne Patsy Gallant (Stella Spotllight/1993-2001) et la Québécoise Judith Bérard (Cristal/1993-1996). Bruno Pelletier (Johnny Rockefort) se joint en outre à l’aventure de 1993 à 1995, tout comme Isabelle Boulay (Marie-Jeanne) de 1995 à 1997 ou Lulu Hugues (Marie-Jeanne) de 1999 à 2001.

La nouvelle version de Starmania, mise en scène par Thomas Jolly prévue à l’automne 2022 à La Seine Musicale, réunira peut-être encore des artistes de chaque côté de l’océan.

La légende de Jimmy et autres révélations

Alors qu’il travaille sur la deuxième mouture de Starmania en 1988, le duo Berger/Plamondon se lance parallèlement dans un autre projet qui sera malheureusement son dernier ensemble. Considéré comme une réussite incomplète, boudé par le public malgré des critiques élogieuses, La légende de Jimmy réunit une fois de plus des Québécois et des Français sur la scène du Théâtre Mogador en 1990-1991. Diane Tell y campe le rôle de la groupie et Nanette Workman celui de la diva dans une mise en scène de Jérôme Savary. Ce dernier récidivera l’année suivante avec une autre comédie musicale créée au Théâtre national de Chaillot, Marilyn Montreuil, dans laquelle Diane Tell tient encore l’affiche, signant cette fois en plus la musique.

A la même époque, Catherine Lara recourt elle aussi aux services de Luc Plamondon pour Sand et les Romantiques (1991). Originaire du Manitoba, mais installé depuis des décennies au Québec, Daniel Lavoie y interprète le rôle d’Eugène Delacroix.

Toujours en 1991 et à Paris, la recréation de la version française des Misérables au Théâtre Mogador met en vedette Robert Marien dans le rôle de Jean Valjean, spectacle qui lui ouvre les portes d’une carrière internationale. Ardent défenseur du théâtre musical, l’acteur et chanteur québécois, également connu pour son album « Broadway-Montréal » (1995), a en effet joué dans plusieurs comédies musicales depuis au Québec, en Europe et en Asie. À l’été 2021, il a incarné Ponce Pilate dans la production de Jesus Christ Superstar à Tokyo aux côtés notamment de Ramin Karimloo.

NOTRE-DAME DE PARIS OU LA CONSOLIDATION DES PONTS

20 ans après le révolutionnaire Starmania, une autre association entre le Québec et la France a elle aussi transformé le paysage des comédies musicales francophones tout en renouvelant l’intérêt pour le genre. Ayant perdu son complice artistique, Luc Plamondon s’allie à partir de 1996 au chanteur franco-italien né à Saïgon Richard Cocciante pour créer Notre-Dame de Paris, mis en scène par le Montréalais Gilles Maheu.

Ce n’est pas la première fois qu’ils travaillent ensemble. Ils ont déjà collaboré à l’écriture de chansons comme « Question de feeling » (duo entre Richard Cocciante et Fabienne Thibeault) en 1985 et « L’amour existe encore » de Céline Dion en 1991. Réticent au départ, Cocciante accepte finalement de cocréer ce spectacle qui connaitra un triomphe. Pourtant, rien n’était gagné d’avance. La plupart des producteurs ne veulent même pas en entendre parler, considérant que la comédie musicale est un genre qui ne marche plus en France. Heureusement, Charles Talar s’y intéresse, séduit instantanément par les chansons que Plamondon et Cocciante lui font écouter.

Si l’alchimie est bien présente entre les deux créateurs aux personnalités complémentaires, ils ne sont pas toujours sur la même longueur d’ondes. Leur relation ne tarde pas non plus à s’envenimer dans les mois qui suivent le lancement du spectacle. Le célèbre parolier québécois est plus exposé médiatiquement, ce qui crée une compétition d’égos entre les deux artistes. Heureusement, leur mésentente ne dure pas et chacun décide de tourner la page.

Encore plus que StarmaniaNotre-Dame de Paris permet de consolider les ponts entre le Québec et la France, lançant de nombreuses carrières d’artistes dans la foulée, dont Garou. En Quasimodo, il est la grande révélation de cette comédie musicale désormais culte. Découvert au bar Liquor Store de Sherbrooke par Luc Plamondon, le jeune chanteur québécois conquis rapidement le public français. Déjà connu grâce à Starmania, Bruno Pelletier dévoile pour sa part encore plus ses atouts dans la peau du poète Gringoire. À l’été 2022, il reprendra d’ailleurs son rôle pour certaines représentations à Montréal et en tournée au Canada. Daniel Lavoie, actuellement dans le spectacle en Corée, se glissera quant à lui de nouveau dans la peau de Frollo, le prêtre qu’il incarne depuis 1998.

CINDY, DON JUAN ET CHICAGO

En 2002, Luc Plamondon se lance dans une adaptation moderne de Cendrillon avec Cindy aux côtés du compositeur italien Romano Musumara derrière plusieurs tubes de Jeanne Mas, Stéphanie et Elsa. Si sa nouvelle comédie musicale ne rencontre pas le succès escompté, elle a le mérite de mettre encore à l’avant des interprètes franco-canadiens et québécois déjà connues du public français grâce à Starmania comme Patsy Gallant en marâtre et Judith Bérard en mannequin écorchée vive. Le « Salaud » chanté par cette dernière est d’ailleurs probablement la chanson la plus mémorable du spectacle grâce à l’originalité de ses rimes en « axe ».

Durant la même période, quelques productions ont plus de chance, à commencer par Don Juan de Félix Gray qui connait un succès monstre au Québec. L’auteur-compositeur-interprète franco-tunisien, connu pour ses duos avec Didier Barbelivien, présente en 2004 cette comédie musicale mise en scène par Gilles Maheu avec une troupe à majorité québécoise et acadienne. Après une série de représentations au Québec, le spectacle est également bien accueilli en France en 2005.

Dans l'actualité

Ces dernières années, les collaborations artistiques se sont poursuivies de chaque côté de l’Atlantique au sein de comédies musicales. On pense bien sûr tout de suite aux deux prolifiques metteurs en scène québécois qui partagent le même prénom : Serge Denoncourt et Serge Postigo. Les deux sont d’ailleurs actuellement en France.

Denoncourt met en scène et signe le livret de la comédie musicale Je vais t’aimer, en tournée dans les prochains mois à travers l’Hexagone. Il avait également mis en scène le spectacle Bernadette de Lourdes en 2019. Postigo, quant à lui, tient en ce moment le rôle de Max Bialystock dans la comédie musicale Les Producteurs à Paris présentée à Paris jusqu’au mois de mai 2022.

Serge Postigo dans Les Producteurs
Crédit photo : Les Producteurs Paris

Parmi les artistes québécois que l’on a également pu voir dernièrement sur les scènes françaises, mentionnons la Montréalaise Valérie Daure qui a été choisie pour interpréter le premier rôle dans la comédie musicale Bodyguard à Paris en 2018. Le chanteur sherbrookois Olivier Dion s’est pour sa part glissé dans la peau d’Artagnan dans la superproduction française Les 3 mousquetaires en 2016, d’ailleurs mise en scène par deux autres grands noms du théâtre québécois : René Richard Cyr et Dominic Champagne. Quant à Kania Allard, elle enchaine les rôles dans les comédies musicales en France (FlashdanceJules Verne…) depuis Sister Act en 2012.

Originaire de la Côte-Nord, Philippe Touzel n’a pas non plus quitté l’Hexagone depuis 2019 où il interprétait le rôle de Carl Bruner dans Ghost le Musical. Il fait présentement partie de la troupe de Je vais t’aimer en tant que doublure d’Antoine, Léo et Thomas. Toujours dans ce même spectacle, le Montréalais Nico Archambault assiste sa compagne Wynn Holmes dans les chorégraphies. L’artiste polyvalent, danseur et chorégraphe chevronné avait entre autres campé le rôle de Tony Manero dans la comédie musicale Saturday Night Fever en 2017 au Palais des Sports de Paris puis au Québec.

Finalement, les Québécoises d’adoption Lara Fabian et Zaho, toutes deux parties vivre dans la Belle Province à l’âge adulte, se sont aussi frottées au monde des comédies musicales. Marraine de l’AICOM Paris (Académie Internationale de Comédie Musicale), Lara Fabian a même partagé l’affiche du spectacle 1939 avec les étudiants de la promotion 2010/2011. De son côté, Zaho a participé à la comédie musicale La légende du roi Arthur (2015-2016) d’abord en tant qu’auteure et compositrice, puis dans le rôle de la Fée Morgane.

Merci Starmania !

Qu’aurait été le monde de la comédie musicale francophone sans Starmania ? Existerait-il autant de productions de nos jours si Notre-Dame de Paris n’avait pas rallumé la flamme pour ce genre ? Une chose est sûre, l’alliance entre le Québec et la France a largement contribué à créer un engouement autour des comédies musicales. On ne peut que remercier Michel Berger d’avoir réveillé en pleine nuit Luc Plamondon pour lui proposer d’écrire avec lui. L’audacieux projet du tandem a permis de tisser un lien culturel très fort entre les cousins francophones.

Pour les chanteurs québécois, les comédies musicales ont aussi été un tremplin formidable pour lancer leur carrière sur le vieux continent. Ces collaborations franco-québécoises ont d’ailleurs ouvert la voie à d’autres artistes (humoristes, acteurs, danseurs, chorégraphes…) que l’on voit maintenant régulièrement en France. Souhaitons que ces complicités continuent de plus bel pour nous surprendre toujours plus !

*À noter que plusieurs autres artistes québécois se sont démarqués et continuent de le faire en France dans le milieu du théâtre musical. Cet article ne se veut pas exhaustif.

Image de Nathalie Katinakis

Nathalie Katinakis

Bercée par les tubes de "Starmania" durant l'enfance, c'est "Cats" qui me donne la piqûre pour de bon quand je me plonge enfin dans son univers en 2010. Dans la foulée, je découvre le West End et rejoins l'équipe de Musical Avenue dès 2011, couvrant les spectacles montréalais depuis le Québec où je réside.FB/IG:@uneportesurdeuxcontinents
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