Rencontre : Nos lecteurs interrogent Laurent Bentata, PDG de Stage Entertainment [3ème partie]

Temps de lecture approx. 17 min.

Alors que le casting de La Belle et la Bête a été dévoilé mardi dernier, nous continuons le fil de notre saga de l’été. Dans cette avant-dernière partie de notre feuilleton, les lecteurs de Musical Avenue font le point avec Laurent Bentata, PDG de Stage Entertainment, et Arnaud Cazet, directeur Marketing et Communication de la même société, sur les spectacles passés.

Arnaud (lecteur) : Pourquoi avoir abandonné le projet de tournée de Sister Act en France ?

LB : On a un vrai problème en France, notamment en province : ce sont les théâtres. Il y a des théâtres publics et le reste ce sont les Zénith. Nos spectacles en règle générale sont créés pour être joués dans des théâtres. Ce qui fait que si on veut aller dans des Zénith, on doit les adapter. Ce qu’on a fait sur Mamma Mia et Cabaret. Il y a eu tout un travail d’adaptation. C’est vrai que Sister Act, au niveau scénographie et autre, il y a beaucoup de choses sur scène, donc l’adaptation pour les Zénith est importante. Ce coût de production pour aller en Zénith était très fort, très important et quand on fait les calculs de rentabilité… En tout cas, la problématique est là. Il y avait du potentiel mais il faudrait des "Mogador" un peu partout. Si c’était le cas, sur le modèle parisien, on bénéficierait du bouche-à-oreilles et on pourrait durer et même rester plus longtemps. Maintenant, rester un à deux mois dans un Zénith, ce n’est pas du tout la même approche. Donc, on a ce problème de lieu. On y a été confronté sur Sister Act. Par exemple dans un Zénith, il n’y a pas de cintres donc chaque fois qu’on va dans un Zénith sur Mamma Mia, on construit un théâtre. Cela multiplie par deux le temps de montage. Donc après il y a une rentabilité et une réalité économique qu’il faut intégrer. Voilà pourquoi.

Arnaud (lecteur) : Donc Mamma Mia c’était beaucoup plus simple a adapter ?

L.B : Tout à fait. La force de Mamma Mia au niveau des décors, c’est très malin. La manière dont on passe d’un visuel à un autre. C’est plus facile à reproduire ou à changer quand on va dans un espace beaucoup plus grand.



Le décor modulable de
Mamma Mia.

Arnaud : Parmi les cinq productions de Stage Entertainment, de laquelle êtes-vous le plus fier ?

L.B : C’est le choix de Salomon, que vous me demandez de faire ! Honnêtement, Je vais vous faire une réponse personnelle. Tout à l’heure on a fait un goûter. On en fait tous les mois en interne. Chaque département accueille les autres départements et chacun fait son goûter comme il le veut. Là, ils ont fait un goûter avec des nez rouges. Et ils ont passé des photos de tous nos spectacles. Et chaque photo qui passait m’apportait une émotion différente. Cabaret, c’était notre premier spectacle… Parce que ce spectacle ne vous laisse pas intact au niveau de l’émotion. Le Roi Lion, c’était le premier spectacle à Mogador et ça a tenu trois ans donc c’est quatre à cinq ans de travail. La rencontre avec le public : un million de spectateurs. C’était énorme. Zorro… Même si on n’a pas eu le résultat escompté, la préparation de Zorro a été extraordinaire parce que c’est un show compliqué à monter mais c’était une rencontre humaine. Mamma Mia, une troupe exceptionnelle, une rencontre avec des gens exceptionnels avec ABBA et autres. Sister Act, c’est une création de Stage, donc on avait une grosse pression et puis la rencontre avec Whoopi Goldberg et Alan Menken. A chaque spectacle, je suis comme un enfant par rapport à la rencontre avec des gens. Je suis sûr qu’Arnaud Cazet a dix mille anecdotes sur chaque spectacle. Il y a des moments spécifiques à ce spectacle que je n’ai pas vécu dans d’autres. Je vous donne une anecdote : sur Le Roi Lion, quand on construit le spectacle, les musiciens répètent dans un coin, les comédiens répètent aussi dans un coin et a un moment donné on réunit tout le monde. Donc la partition va être jouée tous ensemble. Cela a un nom barbare ca s’appelle la "Sitzprobe". Il y avait les 17 musiciens, 30 artistes. C’est un puzzle qui prend forme et là je peux vois dire qu’au niveau de l’émotion… Ca y est enfin ca prend forme ! Ca faisait plus d’un an et demi qu’on travaillait dessus !

Pour chaque spectacle, je peux vous donner une anecdote différente. Zorro, quand la première fois, le "Z" s’allume ! Pour Sister Act, on a décidé de faire un showcase dans une église, c’était du jamais vu, c’était très fort. Et au même moment, on rencontre Alan Menken. On a profité de l’occasion pour présenter Alan Menken au public français. Pour les fans de musicals comme vous, Alan Menken, c’est un Monsieur. Alors les journalistes français me demandaient au début : « Mais c’est qui Alan Menken ? ». On avait envie de les secouer : « Mais c’est Monsieur Menken ! ». On a eu la chance de diner avec lui, passer une journée. J’ai passé une journée avec lui. Je suis resté 24 heures à l’écouter. Je lui ai posé pleins de questions.

Je suis désolé, mais je ne peux pas répondre à votre question. Chaque troupe vous apporte quelque chose de différent. J’étais sur la tournée de Mamma Mia. C’est important d’y être parce qu’ils ont l’impression, eux, qu’on est passé à autre chose, qu’on est sur Sister Act donc qu’on a abandonné Mamma Mia. Ce qui n’est pas vrai, parce qu’ils sont aussi importants. Quand ils ont quitté Mogador, ils savaient qu’ils allaient quitter quelque chose mais bon, ils sont à Brest ce week-end. On essaye d’aller les voir. C’est difficile, mais on pense à eux. Ils ont cette impression là, mais comme chaque spectacle est différent, il faut donner et je leur donne la même attention et le
même investissement.

Margot : Comment le public français a évolué depuis l’arrivée de Stage Entertainment en France ? Sa manière de consommer le spectacle, ses goûts ?

LB: Jusqu’à présent dans le public français, il y avait le public de théâtre, le public des comédies musicales qui se nourrit beaucoup du public des concerts, les gens qui vont voir des artistes, l’opéra. Et bien nous, on se positionne au milieu de tout ça. L’idée c’est d’aller chercher, de créer un lien avec une clientèle qui vient un peu de tous ces éléments, de tous ces spectacles, que ce soit l’opéra, les concerts, le théâtre par rapport à ces spécificités, et la richesse artistique qui est apportée par les comédies musicales. Il a fallu qu’on construise. Notamment Le Roi Lion. Quand on pense au Roi Lion, on pense grand public, on pense aux enfants, famille et autres. Ce n’était pas notre objectif. Bien sûr il y avait cette clientèle là. Mais il y fallait surtout aller chercher et séduire les adultes. Donc, il a fallu construire une stratégie marketing compliquée pour parler aux adultes. On a créé tout ça. On est parti de zéro. Les gens qui vont aimer les comédies musicales sont les gens qui aiment l’opéra, qui aiment aussi les concerts, les comédies musicales françaises et qui aiment le théâtre. Donc, il va falloir trouver un discours, en tout cas un langage, qui permet de séduire toutes les personnes. On a adapté notre langage en fonction de chacun et pour l’instant ça rentre, ça fonctionne. Par exemple, vous voyez Sister Act, ce soir. C’est amusant de voir des publics qu’on n’avait pas sur Le Roi Lion ou sur Mamma Mia. Mais à chaque étape, on grandit et on essaye d’étoffer et d’améliorer l’offre, en tout cas la clientèle qui vient des comédies musicales, qui pouvait être réfractaire aux comédies musicales jusqu’à présent et qui vont selon certains spectacles, être attirés par le nom du spectacle. Demain, l’idée c’est de créer le "label Stage" qui va fédérer énormément de public, le public qui ne vient pas au théâtre. A mon avis, ce soir dans la salle, il y a des gens qui n’avaient jamais été dans un théâtre. Ils avaient peut-être été au Palais des Congrès ou au Palais des Sports mais qui sont assez surpris quand ils rentrent, qu’il y a un groom qui leur ouvre la porte et qu’ils découvrent le Théâtre Mogador…

Benoît : Cela a t-il difficile de faire comprendre aux gens que Le Roi Lion n’était pas seulement pour les enfants ?

LB : La force et la richesse de ce spectacle et ce qui en fait un spectacle unique c’est que chaque typologie de cible se fait sa propre lecture du spectacle. Un enfant vous dira "j’ai adoré Le Roi Lion" pour une raison différente de celle que vous avez pu avoir en voyant ce spectacle. Il touche tout le monde. Pour nous, il était important de mettre le focal sur le coté adulte parce que le coté enfants était déjà presque naturel de par le film de Disney. Nous, on leur montrait Le Roi Lion avec un regard d’adulte. C’est ce qu’on a fait pendant trois ans. L’un des éléments moteurs au début c’est qu’on s’est associé avec Le Monde. C’était important pour nous qu’un titre de presse adulte plutôt intelligent puisse se positionner sur un spectacle comme ça. On leur a proposé. Il a fallu les convaincre. La chance qu’on a eue c’est qu’il y avait l’expo consacrée à Disney au Grand Palais qui arrivait au même moment et qui a positionné aussi.

Margot : Visez-vous aussi les touristes ?

LB : On fait tout ça. La cible touristique est intéressante et compliquée. Pour l’instant, on ne vient pas à Paris pour voir un spectacle alors qu’on va à Broadway pour cette raison. C’est un travail d’éducation qu’on est en train de faire mais qui prend du temps. On est bien situé, à coté des grands magasins, donc il y a pas mal de passage et on essaye d’utiliser tout ça.

Guy : L’offre de comédie musicale est quand même très limitée à Paris…

LB : Mais moi, je rêverais d’avoir des concurrents qui font du musical de qualité ! La concurrence est saine quand elle est de qualité. Comme pour le cinéma. Vous avez vu un bon film, ça vous donne envie d’aller au cinéma. Vous allez voir un très bon musical, ca vous donne envie de continuer à en voir.

Nathalie :
Vous faites de la promo sur les autres capitales européennes ?

LB : Sur les capitales, peu. On travaille avec quelques tours opérators, surtout en régions. On travaille avec la SNCF. L’idée c’est d’avoir un package et de leur proposer. On travaille avec les autocaristes situés à 2h maximum de Paris. Mais peu sur les capitales européennes car les spectacles de Stage sont aussi jouées dans les autres capitales européennes. Mais, on a une offre pour les gens qui viennent sur Paris. On va essayer de la développer dans les mois et les années à venir.

Arnaud Cazet : En ce moment quand vous habitez Lyon, Bordeaux ou Marseille et que vous prenez vos billets pour venir à Paris sur le net, il y a une publicité sur 2 ou sur 3 qui vous dit qu’il y a un génial spectacle a voir à Paris, c’est Sister Act. Si vous arrivez demain a une des six grandes gares parisiennes de 10 heures du matin à la fermeture, vous allez avoir une publicité pour le spectacle.
Je vous annonce qu’en ce moment où nous sommes en train de discuter on est en train de poster sur Facebook et Twitter les publicités qui vont être en vidéo demain et qui sont des petites choses rigolotes par rapport à l’actu et vous verrez..
 

Guy : Mais vous n’en êtes pas encore au système hollandais ou allemand du package : Train ou avion + Hôtel+ Spectacle + dîner, comme à Hambourg ?

Arnaud Cazet :
Hambourg, c’est une tradition qui existe avant la création de Stage. Hambourg est une destination de spectacles. C’est une des villes les plus riches d’Allemagne. Il a fallu donc faire des divertissements pour des gens qui étaient argentés. Le style musical populaire était assuré il y a très longtemps par l’opérette et a continué à perdure
r à Hambourg. Et donc, il y a une tradition de génération en génération d’Allemands qui viennent à Hambourg pour se divertir. C’est une chose très ancienne. Et aujourd’hui, il y a un partenariat entre Stage Entertainment et la ville de Hambourg car on va construire un téléphérique d’une rive à l’autre pour amener les gens pour aller voir Le Roi Lion et parce qu’on va ouvrir un deuxième théâtre a coté. Pour la municipalité, ils savent que 15% ou 20% des gens qui vont dans leurs hôtels vont voir un spectacle. Comme ce sont de gros spectacles, (il va y avoir quatre shows Stage Entertainment à Hambourg) cela génère beaucoup de business donc la ville a intérêt à développer ce business là le plus possible.

Après il faut faire attention à ne pas reproduire automatiquement ce qui fonctionne dans un pays. On a fait des packages hôtel + transports + spectacles avec des distributeurs en France. Ca marche, mais les Français n’aiment pas quand on leur impose quelque chose. Le Français veut choisir son hôtel, son moyen de locomotion et choisir son spectacle. C’est très français, mais c’est comme ça. Il faut donc s’adapter. C’est notre travail aussi de regarder ce qui se passe dans à l’international parce que ça nous nourrit, mais de l’adapter à la manière de consommer française.

Guy : Certains théâtres new-yorkais font des loteries.

Laurent Bentata et Arnaud Cazet ne semblent pas comprendre…

Guy : Il y a pleins de systèmes. Loteries sur des places (1er rang ou dernier rang d’orchestres, dernier rang de balcon) qui sont vendues le jour même. Vous arrivez au théâtre, vous mettez un petit post-it dans une roue et quand les spectacles sont pleins, les gens achètent la place entre 20 et 25$ le billet.

AC : Ce sont des places pas chères définies par une loterie, le jour même ?

Guy : Oui. C’est comme les places debout en fond de théâtre. Pour les spectacles qui rencontrent beaucoup de succès, ils vous vendent des places debout en fond d’orchestre à 25$ (The Book of Mormon ; Les Producteurs). J’ai vu Le Roi Lion pour la première fois à New York, j’ai fait 4 heures de queue.

LB : Il y a aussi le système pour les spectacles qui marchent très bien, ils gardent 5 ou 10 places à 400$ la place.

AC : On a une collègue qui s’en va à New York pour 5 jours et je lui ai dit : "Va voir Once". On regarde les places. Il n’y a que des places disponibles pour un soir. 300$ la place ! Je lui ai dit qu’il y avait pleins d’autres spectacles "supers".

Guy : C’est du carré or !

AC : C’est plus que du carré or. C’est de la 1ère catégorie mais comme la demande est très forte, ils font monter les prix.

LB : Donc non, la loterie, ce n’est pas prévu mais encore une fois on regarde tout ce qui se fait. La loterie est une pratique adaptée à un marché qui est très mature. Il y a des choses qui existent dans d’autres pays et on est sûr que ça ne fonctionnera pas. Les Hollandais prennent des coupons en supermarché et une fois que vous avez 10 coupons, vous avez le droit de participer à un jeu-concours. Encore une fois chaque pays a sa manière de consommer et on regarde ce qui se fait. On a créé le carré prestige cette année sur Sister Act pour donner une sensation encore plus forte au spectateur. C’est quelque chose qui n’existait pas encore en France dans cette dimension là et ça fonctionne. C’est des choses qui nous ont été inspirées par l’Allemagne, parce que là-bas, cela fonctionne bien, comme aux Etats-Unis, mais tout ne peut pas fonctionner. Tout ne peut pas s’importer.

Benoit :
Travaillez-vous avec les kiosques de détaxe de places comme à Montparnasse ou à Madeleine ?

LB : Non, pas tout le temps. Cela nous arrive ponctuellement, mais pas régulièrement. On essaye de faire en sorte que les gens achètent à tarif plein. Le spectacle est le même. Commencer à faire du tarif remisé dès le démarrage, comme le font certains producteurs, ça a un effet : les gens attendent les remises pour aller voir le spectacle. Les producteurs sont peut-être poussés par la peur du remplissage. Mais quand vous n’avez pas encore commencé à exploiter votre spectacle et que vous êtes déjà en remise, il faut se poser des questions. Du coup, ils créent des spectateurs qui vont attendre la remise et qui n’achèteront pas les billets de spectacle au démarrage et c’est la mort du business.


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