A l’aube de la cérémonie des Tony Awards qui se tiendra au Beacon Theater le 12 juin prochain, il est important de signaler qu’il y a de nombreux spectacles musicaux méritant le détour à Broadway cette saison. Et oui, il n’y a pas qu’Hamilton à New York !
School of Rock, au Winter Garden Theatre
Nous vous en parlions récemment : School of Rock est le musical d’Andrew Lloyd Webber qui arrivera fin 2016 à Londres. Au légendaire théâtre du Winter Garden à Broadway, School of Rock remporte un succès solide depuis l’automne dernier avec des inspirations rock n’roll. Basé sur le film de Richard Linklater avec Jack Black, School of Rock se prêtait naturellement à une adaptation musicale avec ici un livret très bien construit par Julian Fellows, producteur de la série télévisée « Downton Abbey », et une direction particulièrement efficace de Laurence Connor, habitué des œuvres de Lloyd Webber (il a notamment dirigé le nouvelle version du Fantôme de l’Opéra aux Etats-Unis et à Londres).
Pour un musical très « dansé », les chorégraphies de Joann M.Hunter sont malheureusement assez minimalistes et sauvées par la prouesse de certains solistes parmi les enfants, qui sont bien évidemment les vraies stars du spectacle. La partition de Lloyd Webber est certainement sa meilleure depuis pas mal d’années : il forme sans aucun doute une très bonne équipe avec le parolier Glenn Slater, qui a déjà signé les paroles de Sister Act ; The Little Mermaid, ainsi que Love Never Dies en 2010.
School of Rock ne comporte pas de tubes potentiels mais joue sur pas mal registres, même celui plus « opératique » avec les chansons composées pour l’irrésistible Sierra Boggess (La Petite Sirène originale de Broadway).
Alex Brightman, vu récemment dans Big Fish et Matilda, est un digne successeur de Jack Black, le surpassant parfois même, en tout cas avec ses prouesses vocales, mais frisant parfois « l’over-acting ». Plus encore que Matilda ou Billy Elliot, School of Rock est vraiment le showcase par excellence du talent de l’équipe extraordinaire des enfants, ce qui demandera beaucoup d’auditions pour la version londonienne prévue pour la rentrée 2016 au New London (succédant à Show Boat) étant donné que les lois concernant le travail des mineurs sont plus contraignantes en Grande-Bretagne.
Faisant presque figure à Broadway d’un import britannique, alors que c’est une création, School of Rock a en tout cas toutes les clés pour devenir un succès dans le West End !
Bright Star, au Cort Theatre
Dans un tout autre registre, le musical à couleur country Bright Star s’avère une agréable surprise au Cort Theater à New York. Sur une musique et un livret de la star d’Hollywood Steve Martin, avec des paroles et une histoire co-écrite par Edie Brickell, Bright Star est un musical à la fois touchant et mélodramatique, doté d’une histoire forte et bien soutenue d’une partition chargée d’émotion.
Dans les rôles principaux, Carmen Cusak, vue dans la rôle de Fantine dans le West End et Elphaba dans Wicked, et Paul Alexander Nolan, vu la saison précédente dans Doctor Zhivago, sont superbes, ainsi que Hannah Elles, avec son numéro « Asherville » qui stoppe le show au premier acte, sans oublier la toujours excellente Dee Hoty dans le rôle de la mère. Mais les vraies stars du spectacle sont la mise en scène brillante et fluide de Walter Robby et la chorégraphie très inventive de Josh Rhodes. Espérons que, face à Hamilton, cet impressionnant et émouvant spectacle remportera quelque chose aux Tony Awards parmi ses 5 nominations : meilleur musical, meilleur livret, meilleur rôle féminin et meilleur orchestration.
Tuck Everlasting, au Broadhurst Theatre
Un autre musical original, basé lui sur un film produit par Disney (sorti en France sous le titre « Immortels »), Tuck Everlasting aura eu lui plus de mal à survivre vu qu’il a remporté une seule nomination aux Tony Awards comme meilleurs costumes pour Gregg Barnes. Les costumes sont véritablement spectaculaires, il est vrai, mais le show en lui-même tient aussi plutôt bien la route. Bien que le dilemme de l’héroïne, Winnie Foster, admirablement interprétée par le jeune et étonnante Sarah Charles Lewis (va-t-elle choisir l’immortalité en buvant à la source ?) ne soit pas développé en profondeur, puisque les créateurs ont préféré que ce show reste un divertissement familial, l’intrigue reste bien servi par une partition plaisante de Chris Miller (musique) et Nathan Tysen (paroles).
Outre des performances inégales (Carolee Carmello, excellente comme d’habitude dans le rôle de la mère, Andrew Keenan-Bolger, parfaitement convaincant dans le rôle du jeune Tuck, mais Terrence Mann, pas vraiment convaincant dans le rôle du méchant Homme en Jaune !), l’intérêt majeur du spectacle reste la mise en scène inventive et la chorégraphie spectaculaire de Casey Nicholaw, dont le talent n’est plus à prouver puisqu’il vient d’enchaîner trois énormes succès précédemment (The Book of Mormon en 2011, Aladdin on 2014 et Something Rotten en 2015).
L’atmosphère circacienne et la métaphore de la fête foraine n’est pas sans rappeler Pippin et plus anciennement Carnival et The Fantasticks. Le seconde acte se termine par un long ballet où Nicholaw laisse parler l’Agnes De Mille en lui, résolvant l’intrigue à travers un « dream ballet » comme son illustre prédécesseur l’avait fait dans Oklahoma et Carrousel.
Tuck Everlasting est donc un musical de qualité, bien respectueux de la tradition de Broadway et brillant par ses costumes et ses chorégraphies, mais c’est en descendant d’une rue au Gerald Schoenfeld Theatre que l’on peut voir un musical vraiment novateur…
American Psycho, au Gerald Schoenfeld Theatre
Même si la chorégraphie de Lynne Page est moins brillante, American Psycho est un musical beaucoup plus moderne, dans le bon sens du terme, puisqu’il il apporte véritablement quelque chose de nouveau. Les nominations de Es Devlin et Finn Ross pour les décors et Justin Townsend pour les lumières sont largement méritées, mais la musique, les paroles et l’orchestration de Duncan Sheik, récompensé aux Tony Awards en 2006 pour Spring Awakening, auraient aussi méritées une nomination, tant elles incorporent de manière intelligente les thèmes musicaux connus de l’époque.
American Psycho, basé sur le brillant film de Mary Harron et le roman choc de Bret Easton Ellis, s’était joué à guichet fermé pour une saison limitée la saison dernière à Londres, version qui vient de sortir en CD. L’édition américaine bénéficie d’une distribution de haut vol, même dans les rôles secondaires, puisque on y trouve Alice Ripley, récompensée récemment pour Next To Normal, dans le rôle de la mère, et Heléne Yorke, vue la saison dernière dans Bullets Over Broadway dans le rôle d’Olive, sans oublier une Evelyn Williams parfaite. Mais le spectacle appartient à Benjamin Walker, succédant plus qu’honorablement Christian Bale (dans le film), montrant généreusement son corps sculptural et rendant bien les nuances de son personnage iconoclaste et ambigü, Patrick Bateman.
Principalement acteur du théâtre non musical, Walker a été le partenaire de Scarlett Johannson dans Cat On A Hot Tin Roof et a joué le rôle-titre dans Bloody Bloody Andrew Jackson. Il a aussi été nominé aux Tony Awards pour Les Liaisons Dangereuses, où il donnait alors la réplique à Laura Linney. Benjamin Walker s’avère plus que compétent pour son premier rôle dans un musical. Le ton du spectacle est ce qui le rend toujours plaisant et vivant, car l’humeur décapant y est toujours présent, compensant l’horreur des scène de meurtre et de violence et empêchant le musical de tomber dans un aspect trop « glauque ». Depuis Sweeney Todd et sa musicalisation du « granguignol », un musical n’avait jamais aussi bien traité le sujet sanglant !
[ À lire également sur MusicalAvenue.fr : la partie 2 de ce dossier avec notre avis sur Fiddler on the roof ; Do I hear a waltz ; Cagney ; Trip of love ou encore Ruthless ! ]