Épicentre mondial de la comédie musicale, Broadway traverse une phase de léthargie de laquelle peine à émerger la moindre surprise.
Si le blizzard vient de répandre son manteau neigeux sur New York, ce n’est pas à la météo qu’incombe la faute de cette hibernation douillette : en période post-crise (qui a vu le flop de plusieurs grosses productions très coûteuses), auteurs et producteurs font preuve d’une frilosité glaciale qui laisse peu de place à l’audace.
Faisons le point sur la météo morose qui plane actuellement sur l’univers du Musical à Broadway.
Indigestion de classiques
Ce sont les valeurs sûres de la comédie musicale anglophone : la plupart des grands classiques du Musical affichent au compteur un nombre de représentations vertigineux, qu’il s’agisse de revivals (plus de 5.400 représentations pour Chicago dont la reprise s’est installée en 1996), ou d’inébranlables succès en activité depuis des années (bientôt 10.000 pour le Phantom of the Opera de Lloyd Webber, à l’affiche depuis 1988).
West Side Story, Hair (Tony Award du meilleur Revival cette année), South Pacific, Finian’s Rainbow… on ne compte plus le nombre de pièces vues et revues qui occupent les théâtres de Broadway cette saison encore.
Wicked (créé en 2003), phénomène incontournable de ces dernières années, s’affirme de plus en plus comme un succès durable en passe de devenir la comédie musicale classique des années 2000.
La tendance à la nostalgie, favorable au retour des vieux succès du siècle dernier, a de fortes chances de continuer à faire les belles heures des producteurs les moins courageux, si l’on en juge par l’ouverture il y a une semaine d’une nouvelle production du A Little Night Music de Stephen Sondheim, avec un duo de stars à l’affiche : Angela Lansbury et Catherine Zeta-Jones..
Les vedettes appelées à la rescousse
Si cette nouvelle production du classique de Stephen Sondheim frappe un grand coup en mettant à l’honneur deux méga-stars d’Hollywood et de Broadway, la recette qui consiste à réveiller l’intérêt du public en engageant dans un show en perte de vitesse une personnalité connue semble toujours de mise.
C’est ainsi qu’on voit nombre de spectacles s’offrir les services de stars pour ados ou autres participants à divers télé-crochets.
Dans Chicago, c’est Ashlee Simpson-Wentz (chanteuse et épouse de Pete Wentz, ex-membre du groupe Fall Out Boy) qui sert d’argument marketing de choc pour assurer au spectacle un taux de remplissage décent, ce qu’elle avait déjà fait pour la version londonienne en 2006.
In the Heights, abandonné par son créateur Lin-Manuel Miranda (parti travailler sur l’adaptation cinématographique du show, réalisée par Tony Ortega, responsable de la trilogie High School Musical), tentera le coup de poker fin janvier en s’offrant les services de Corbin Bleu (lui aussi transfuge de la franchise HSM).
Dans The Toxic Avenger Musical, c’est Diana DeGarmo (finaliste du concours American Idol) qui s’est chargée d’attirer les foules dans le rôle d’une bibliothécaire aveugle éprise d’un monstre radioactif.
Constantine Maroulis, autre perdant de l’équivalent américain de notre Nouvelle Star, s’est vu confié quant à lui le rôle principal de Rock of Ages (critique à venir), un musical qui rend hommage aux groupes de rock à cheveux longs qui peuplaient les années 90.
Ce recours presque systématique à de semi-peoples en mal de reconnaissance n’est pas de bon augure pour les mois à venir…
Des nouveautés, par pitié !
Si l’on en juge par la présence de ces guest-stars, la grandeur des décors, jeux de lumières et machineries mis en œuvre, les moyens sont toujours là.
Problème de la plus haute importance : la qualité ne suit pas.
Rock of Ages, évoqué plus haut, n’offre rien de mieux qu’un jukebox vite fait dont le succès probable ne reposera que sur une bande-son aguicheuse reprenant les tubes hard-rock des 90’s.
De l’autre côté du rock (entendez par-là : à ses origines), Memphis (critique à venir) tente une plongée historique dans les années 50 qui ont vu l’émergence de la musique noire, sur fond de racisme. Pari perdu pour un show sans aspérité qui n’arrive pas à se faire passer pour autre chose qu’une pâle copie d’Hairspray.
Shrek the Musical n’aura pas tenu plus de 440 représentations et fermera le 3 janvier, tout comme The Toxic Avenger Musical, off-Broadway.
Le off ne semble d’ailleurs pas près de faire souffler un v
ent nouveau sur les comédies musicales américaines, la plupart des shows oscillant entre la revue (Fela) ou la reprise de vieux succès (Avenue Q, Altar Boyz, Naked Boys Singing).
Fort heureusement, la créativité formidable de In the Heights (premier musical latino interprété en "Spanglish", qui nous immerge dans le quotidien du quartier latino des hauteurs de Washington) ou encore de Next to Normal (l’histoire d’une famille qui se bat pour sauver une mère au prise avec des troubles bipolaires; Tony Awards de la meilleure partition et de la meilleure actrice pour Alice Ripley – critique à venir) redonne espoir aux plus inquiets quant à l’avenir de Broadway.
Ces deux spectacles, qui ont mis cinq à dix années de travail avant d’aboutir, démontrent qu’un succès se construit d’abord avec un livret et une partition de qualité, et non pas seulement un plan marketing monstrueux.
Du neuf avec du vieux
Hélas, les nouveautés annoncées pour début 2010 ne semblent pas suivre la voie de la raison et vont apparemment tenter de concilier les grosses ficelles habituelles : des sujets et des noms connus de tous pour mieux attirer le chaland.
Spiderman – Turn off the Dark, nouvelle création de Julie Taymor (metteur en scène du Roi Lion – The Lion King), est ainsi co-signée par Bono et The Edge du groupe U2.
Malgré de nombreux déboires financiers qui ont failli avoir raison du show – annoncé comme le plus coûteux jamais produit – l’ouverture du spectacle est finalement annoncée pour le 25 février 2010.
Outre les créateurs du spectacle, les noms de Evan Rachel Wood (Across the Universe) et Alan Cumming (X-men 2) devraient assurer le succès du musical.
Suivra en avril The Addams Family, présenté en avant-première à Chicago avec un casting prestigieux mettant en avant Nathan Lane (The Producers) et Bebe Neuwirth (A Chorus Line, Jumanji, Fame nouvelle génération).
Et la suite ? On reste sans nouvelles de Catch Me If You Can, énième transposition sur scène d’un succès cinématographique, et on s’attend à voir fleurir un nombre incalculable de spectacles déclinant sur scène les cartons du grand écran.
C’est quand on s’y attend le moins que les surprises surviennent : laissons Broadway comater tranquillement quelque temps, car il ne fait aucun doute que de nouveaux artistes viendront bientôt donner un coup de pied aux fesses du genre pour le sortir de son engourdissement !