Le couvent parisien de Sister Act, le musical s’apprête à fermer ses portes aujourd’hui même, près de neuf mois après ses débuts au théâtre Mogador. À cette occasion, Musical Avenue vous propose de remonter le temps avec Alan Menken, compositeur du spectacle, rencontré il y a quelques mois à Paris pour évoquer sa riche carrière et fructueuse collaboration avec Disney. Sans savoir à l’époque qu’une autre de ses œuvres, La Belle et la Bête, allait aussi bientôt arriver à Paris !
Musical Avenue : Dans votre carrière de près de cinquante ans, c’est la première fois qu’une de vos productions musicales s’est jouée à Paris, est-ce quelque chose que vous attendiez avec impatience ?
Alan Menken : Oui ! Cela fait des années que j’explique à Disney combien c’est dommage qu’aucune de nos collaborations ne soit exportée à Paris. Quand j’ai entendu que Sister Act arrivait à Paris, j’étais donc très enthousiaste. Je me souviens que lorsque La Petite Boutique des Horreurs tournait, ils étaient passés à Paris, mais c’était une exception.
Nous n’avons pas la même culture du musical à Paris…
C’est une discipline très américaine. Même si le genre s’internationalise… Jacques Brel [ NDLR : is alive and well and playing in Paris, avec Mort Shuman, off-Broadway 1978] avait bien marché à New York, sans parler de Boublil et Schönberg [ qui ont écrit Les Misérables ]. Ça me paraît naturel.
Votre lien avec la France est particulier, notamment grâce à La Belle et La Bête, dont l’histoire se déroule dans notre pays.
Et Le Bossu de Notre-Dame !
Bien sûr ! Comment adaptez-vous la musique à l’esprit français ?
La culture française est très singulière. Toutes les périodes de l’histoire artistique française sont évocatrices. Il y a une sorte d’histoire d’amour entre les États-Unis et les artistes français, ou les artistes américains en France, c’est presque une tradition. Avez-vous vu Midnight in Paris de Woody Allen ? C’est excellent. En fait je paie même des impôts en France, je possède une maison à Saint-Martin dans les Caraïbes. Avec votre nouveau président, j’ai peur que mes impôts augmentent !
On a du déjà vous dire cela, mais le grand public ne connaît pas forcément votre nom ic, même si vos chansons sont connues par cœur, surtout celles écrites pour les films Disney. Si vous deviez décrire votre carrière en quelques séquences, que diriez-vous à ceux qui ne connaissent que votre œuvre ?
Que dirai-je sur ma carrière ? J’ai débuté à Broadway, avec La Petite Boutique des Horreurs, puis j’ai fait mon chemin jusqu’à Hollywood… Aujourd’hui, des années plus tard, j’ai trois spectacles à l’affiche à Broadway [ La Belle et la Bête, Sister Act et Newsies ]. C’est un parcours intéressant.
Comment a débuté votre collaboration avec Disney ?
David Geffen, qui était l’un des producteurs de La Petite Boutique des Horreurs, a présenté Howard Ashman [ co-auteur de La Petite Boutique des Horreurs ] à Jeffrey Katzenberg de Disney. Quand Michael Eisner et Jeffrey Katzenberg ont pris la tête de Disney, ils voulaient redorer le blason du dessin-animé musical. A cette fin, ils sont allés chercher des talents new-yorkais comme Howard Ashman, qui était le meilleur. A la mort de Ashman, le flambeau, si je puis dire, m’a été transmis.
Que préférez-vous, et qu’est-ce qui est le plus intéressant pour vous entre le travail pour le théâtre et le cinéma ?
J’aime vraiment les deux.
Y a-t-il des différences ?
C’est le même travail. Quand c’est musical, c’est musical. A moins que cela ne soit de la musique d’ambiance, ce qui est un travail très différent, mais écrire pour un musical est toujours pareil. Il y a juste quelques petites différences. La rémunération est différente, le lieu et différent. C’est presque un style de vie. Mais le résultat, à la hauteur du travail effectué, est le même.
Sister Act a été entièrement adapté en français, quel rôle avez-vous joué, si vous en avez joué un, dans cette adaptation du spectacle en français ?
Je n’ai joué aucun rôle, mais mon collaborateur Glen Slater était en contact régulier avec Nicolas Nebot. Il a été un formidable traducteur, Glen est lui étaient en contact permanent.
Qu’est-ce que cela vous fait de savoir que vos œuvres ont été traduites dans de nombreuses langues à travers le monde ?
J’adore ce sentiment. Pour un compositeur, la musique reste la musique. L’universalité des thèmes demeure. Que vous soyez en Russie, en Allemagne, en France, en Espagne, en Italie, au Japon – que sais-je encore – dans n’importe quel pays où l’on aime le musical, je me dis qu’il y a une partie de moi. C’est une grande satisfaction.
Que diriez-vous à ceux qui n’aiment pas que les spectacles soient traduits et préfèrent les voir en version originale sous-titrée ?
Je ne m’identifie pas. Dès qu’il s’agit de comédies musicales, de manière traditionnelle, je suis habitué à les voir traduites. Le contenu de la chanson n’est en rien modifié, son intention non plus, la forme reste inchangée, les rimes parfois également. Si le texte parlé et chanté était entièrement sous-titré, je ne dis pas. Mais je trouverais étrange et bizarre de passer de dialogues en français à des chansons en anglais.
Avez-vous participé au casting du spectacle ?
Non. J’y participe lors de la première production. Mais même à ce stade, mon influence n’est pas aussi forte qu’au moment de la création du spectacle. Je me vois comme un architecte qui, avec ses collaborateurs, dessine une maison, dans ses moindres recoins. Puis arrivée en France, ou dans n’importe quel autre pays, cette maison est construite. Lorsqu’elle est achevée, les acteurs y emménagent…
Et qu’avez-vous donc pensé de la maison que vous avez entr’aperçu lors des premières parisiennes ? Vous avez travaillé avec eux.
Les acteurs sont merveilleux. La production elle-même est la même que cell
e que nous avons pu voir tout au long de la vie du spectacle, à Hambourg ou à Vienne. La plus grande variable reste le public. Comment le public français accueillera-t-il le spectacle ? Adhésion, curiosité, grand enthousiasme ? C’est toujours une grande inconnue…
Je sais que le film Sister Act a été un grand succès en France, à mon avis, le spectacle ne peut que marcher.
Touchons du bois ! Il y a des projets qui ont été totalement rejetés dans certaines cultures. Je me souviens que lorsque Pocahontas est sorti au Japon, ils n’ont pas du tout aimé son apparence, rien n’allait. Quand Le Bossu est sorti en France, c’était probablement un plus gros succès que n’importe où ailleurs. Le Bossu de Notre-Dame a vraiment été un gros carton en France. C’est une histoire française, écrite originalement par un Français. Mais cela ne garantit pas le succès, parfois c’est l’effet inverse qui se produit…
Au sujet des chansons du spectacle. Aucune des chansons du film n’a été reprise pour la comédie musicale. Vous avez tout remis à plat. Pour quelle raison ?
Tout d’abord, le « vocabulaire » de la pièce a été réécrit, je voulais prendre une direction disco. Quand je pense à La Petite Boutique des Horreurs, à Dreamgirls, à Hairspray, beaucoup de spectacles sont très R’n’B, Motown ou gospel, comme Leap of Faith [composé par Alan Menken et brièvement à l’affiche à Broadway en 2012, NDLR], c’est un créneau qui a été surexploité. Le disco semble un terrain nouveau à mes yeux. Le disco a un côté plus frais, plus festif et romantique. Il est beaucoup plus intéressant de créer un contraste entre l’aspect sacré de la pièce et la musique disco. Le gospel a déjà été utilisé de nombreuses fois pour traiter d’un sujet touchant à la religion. Je suis content d’avoir fait ça. Secrètement durant l’écriture, j’espérais que personne ne vienne me demander d’inclure « My God » ou « I Will Follow Him » dans le spectacle. Dieu merci ce n’est jamais arrivé !
C’était donc votre choix de faire une partition disco pour ce spectacle ?
Oui.
Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
J’ai été contacté par Peter Schneider, que je connais depuis des années. Il était directeur de troupe sur la première version de La Petite Boutique des Horreurs, puis il est devenu Président chargé de l’animation chez Disney et enfin Président du studio. Au moment de son départ à la retraite, il a voulu produire Sister Act. Il m’a appelé pour me demander si cela pouvait m’intéresser.
C’était logique pour vous de le faire…
En effet, même si j’étais un peu inquiet car c’est une œuvre très connue. Je n’étais pas sûr de vouloir le faire. Mais ça a bien marché.
Quels défis avez-vous du relever en écrivant pour ce spectacle ?
Premièrement, il a fallu retranscrire les émotions de Deloris tout au long de l’évolution du personnage : insérer une dimension émotionnelle à la fin alors que le show est principalement dans le registre de la comédie. Il a fallu faire ressortir cette émotion. Il a fallu également éviter le piège de faire tomber nos trois méchants dans le registre « Pieds Nickelés », les rendre inquiétants tout en préservant leur potentiel comique. Le dosage était primordial, de nombreuses nuances ont du être apportées.
Pour d’autres spectacles comme La Petite Sirène ou Newsies, vous avez du vous replonger dans des histoires sur lesquelles vous aviez travaillé une vingtaine d’années auparavant, pour en sortir des œuvres nouvelles et consistantes. Comment avez-vous fait ?
Cela peut être facile, ou pas. C’était facile pour La Belle et La Bête, les chansons coulent d’elles-mêmes, et c’était également la première fois que nous adaptions un film pour la scène. Au fur et à mesure, les gens sont moins séduits par ce procédé : « Vous avez déjà fait ça, comment allez-vous faire cette fois-ci ? » En général, il est important de souligner la force de la partition originale, de retirer les éléments plus faibles et d’écouter ses collaborateurs, ainsi que le public, afin d’appréhender quelles nouveautés pourraient marcher. Beaucoup de réécriture s’en suit. Quand on travaille sur Newsies, La Petite Sirène ou Aladdin, le public vous attend au tournant. Il s’agit de répondre à cette attente sans décevoir et en les surprenant.
Vous avez gagné huit prix pour votre travail sur les films Disney, ce qui est très impressionnant, mais malheureusement vous n’avez pas gagné de récompense majeure dans le théâtre…
Je n’ai pas gagné de Tony Awards, mais j’ai gagné des récompenses dans ce domaine…
Cette année, vous êtes nommé pour un Tony pour Newsies, est-ce que ça sera votre année ?
Je l’espère en tout cas !
Vous êtes également nommé pour Leap of Faith, qui a du fermé prématurément, savez-vous s’il est prévu de retravailler sur ce spectacle à l’avenir ?
Je ne sais pas si ce spectacle nécessite une réécriture. Le problème avec Leap était que le spectacle n’a pas été bien vendu, et ce n’était pas un show fait pour ouvrir à Broadway. Honnêtement, je pense que Leap était un peu en avance sur son temps. C’est un musical qui joue avec vous. C’est un commentaire sur la religion. Il ne s’agit pas d’un musical sur un miracle, mais d’un musical sur une arnaque au sujet d’un miracle. Je ne sais pas si le public était prêt. Ou peut-être n’était-il pas intéressé. Au final, ça ne se vendait pas, et c’est tout ce qui compte. Je ne me plains pas, d’un autre côté les places pour Newsies s’arrachent. Comme je dis toujours : « Fais de ton mieux, la réaction du public restera toujours imprévisible ».
J’ai lu que tôt dans votre carrière, alors que vous jouiez dans des clubs locaux, vous composiez également des jingles, je voulais donc savoir si c’était votre secret pour composer des airs aussi faciles à retenir, aussi entraînants et enthousiastes… ?
Non, j’étais juste bon à ça, alors que pourtant, honnêtement, je ne prenais pas ce travail très au sérieux…
Vous avez donc toujours su composer ainsi
?
J’adore la musique. Je dois avoir une habilité à laisser la musique me traverser. Je suis très influencé par des choix stylistiques et j’essaie d’absorber ce que j’aime dans un air, ou une chanson. Puis je suis capable de sentir ces éléments en moi afin d’écrire quelque chose de nouveau qui utilise ces sentiments, cette sensibilité harmonique, c’est juste quelque chose que je sais bien faire.
Comment vous êtes-vous autant passionné par la comédie musicale ?
Je ne l’étais pas au départ. Je n’avais pas de désir particulier d’en écrire. J’ai grandi dans une famille qui adorait les musicals, j’en connaissais donc beaucoup. Pour rassurer mes parents, j’ai rejoint un groupe de théâtre musical qui s’appelait BMI. Et j’ai découvert que j’étais plutôt bon. Puis je me suis marié jeune, et enregistrer des albums et partir en tournée demande de passer beaucoup de temps loin de chez soi. J’étais épanoui dans cette vie. Dans un sens, écrire des comédies musicales est un choix de style de vie et probablement une association cohérente entre mon habileté et une forme d’art. Dans la vie, on ne choisit pas toujours son chemin, parfois la vie choisit à notre place.
On dirait que vous avez fait le bon choix…
Ça marche plutôt pas mal, oui !
Enfin, la plupart de vos shows les plus récents ont maintenant leur propre vie, pouvez-vous me dire sur quoi vous travaillez aujourd’hui ?
Aladdin arrive à Broadway. Le Bossu aussi. J’ai également trois ou quatre idées de musicals sur lesquelles je m’apprête à travailler, mais il est trop tôt pour vous en parler. J’ai différentes collaborations et plusieurs personnes en vue pour travailler avec. Un de mes projets a été dévoilé, il s’agit de Lidsville, un dessin-animé musical, pour Dreaworks. Puis donc, Le Bossu et Aladdin. Une nouvelle version cinématographique de La Petite Boutique des Horreurs arrive également. Avec la même musique écrite par Howard et moi-même mais avec des chansons supplémentaires. Une Petite Boutique tout à fait contemporaine, avec des nouveaux talents à l’écriture. On verra. Touchons du bois…