Troisième épisode de notre série consacrée aux œuvres les moins connues du célèbre duo d’auteurs américains avec leur comédie musicale Woman of the Year.
Si les adaptations musicales de films ou de romans sur les scènes de Broadway sont aujourd’hui synonymes de coups marketing et n’offrent qu’un intérêt relatif, l’exercice s’est montré par trois fois concluant, tant du point de vue artistique que du succès, pour le duo d’auteurs formé par John Kander (compositeur) et Fred Ebb (parolier).
En 1967, leur Cabaret (adapté du roman Goodbye to Berlin de Christopher Isherwood) leur vaut leur premier Tony Award de la Meilleure Partition Originale (parmi 8 récompenses raflées lors de la même cérémonie, dont celle du Meilleur Musical). À peine plus de 25 ans plus tard, Kiss of the Spider Woman (basé sur le roman El Beso de la Mujer Araña de Manuel Puig) leur offre en 1993 leur troisième trophée (l’œuvre recevant elle aussi le titre de Meilleur Musical de l’année).
Moins célèbre que ces deux chefs d’œuvre, leur spectacle de 1981 leur offrit néanmoins également le Tony de la Meilleure Partition Originale. Woman of the Year partage en outre le point commun d’être également une adaptation, cette fois-ci d’un film de 1942 du même titre dans lequel Katharine Hepburn donnait la réplique à Spencer Tracy.
Sur scène, c’est une autre légende de l’Âge d’Or du cinéma américain qui endosse le rôle de Femme de l’Année : Lauren Bacall, qui remporte avec cette pièce son deuxième et dernier Tony de la Meilleure Actrice Principale dans un Musical (elle recevait le premier onze ans plus tôt pour Applause).
Robert Moore (The Boys in the Band ; Promises, Promises) signe alors son ultime mise en scène avant de succomber aux complications du virus du SIDA dont il est victime.
Si la comédie romantique s’amusait à raconter au cinéma les querelles entre Tess Harding et Sam Craig, respectivement journalistes politique et sportif au sein du même journal, l’intrigue de la pièce modernise les personnages et en fait une journaliste télévisée pour la première, un caricaturiste pour le second.
La bisbille laisse rapidement la place à une histoire d’amour entre les deux antagonistes, qui vont éprouver la plus grande difficulté à mener de front leurs carrières et leur vie de couple. Lorsque Tess Harding (Lauren Bacall) est nommée Femme de l’Année, les deux tourtereaux sont séparés et le cœur de l’animatrice TV n’est pas à la fête.
Le second acte va voir l’héroïne se mettre en quête de la recette qui lui permettra de réussir son couple, aboutissant à la conclusion qu’elle devra pour cela mettre entre parenthèses la carrière qui la monopolise (un rebondissement qui va étrangement à l’opposé du propos féministe de la pièce). Le dénouement heureux verra Sam (Harry Guardino) lui demander de ne pas renoncer à son métier, et le couple réuni décidera de faire en sorte que leur histoire fonctionne à nouveau.
La chanson "One of the Boys" intervient au milieu du premier acte : c’est le deuxième rendez-vous amoureux de Tess et Sam. Il a invité la belle à l’accompagner au Ink Pot, un bar qui sert de point de repère aux dessinateurs de la presse new-yorkaise, où la journaliste émerveille tout le monde en démontrant sa connaissance pointue de la bande-dessinée.
Surpris et conquis par Tess au-delà des apparences, la bande de dessinateurs, exclusivement masculine, l’accueille comme un des leurs et elle devient "[…] one of the girls who’s one of the boys" soit "[…] une des filles qui fait partie des garçons".
La voix de Lauren Bacall, si distinctement rauque, convient à la perfection à l’ambiguité évoquée par les paroles de la chanson, qui ne cessent de jouer sur le paradoxe entre son apparence de journaliste élégante et son intérêt pour le jeu, les cigares, et toutes sortes de choses considérées à l’époque comme exclusivement réservées au "sexe fort".
La chanson n’est qu’un exemple parmi les nombreuses perles que renferme la partition de Woman of the Year : les seize chansons constituant l’enregistrement original du spectacle (de la chanson titre à "The Grass is Always Greener" en passant par "I Told You So" ou encore "I Wrote the Book") en font une réussite qui vaut le détour, et la rareté de l’album, réédité sur CD en 1997, l’a propulsé au rang d’objet de collection prisé des fans de musicals qui n’hésitent pas à se l’arracher à des prix dépassant parfois les 200$ !
Si Woman of the Year n’est pas aujourd’hui l’œuvre la plus connue de Kander & Ebb, elle reste néanmoins un de leurs plus grands succès en ayant tenu l’affiche pendant 770 représentations, du 19 mars 1981 au 13 mars 1983.
Rendez-vous dans une semaine pour un nouveau musical et une nouvelle chanson, avec le dernier épisode de cette série consacrée à Kander & Ebb.
Lire ou relire nos autres articles de la série "Les œuvres méconnues de Kander & Ebb" :
- Épisode 1 : The Scottsboro Boys
- Épisode 2 : The Rink
- Épisode 3 : Woman of the Year
- Épisode 4 : Steel Pier
Regardez la prestation de Lauren Bacall à la
cérémonie des Tony Awards de 1981 :
Crédit photo (noir et blanc) : Zodiac Photographers
Sources : Wikipédia, The Guide to Musical Theatre