Entrez dans la jungle et laissez-vous flotter
Devant un magnifique rideau vert et bleu sur lequel clignote en néons le mot « Jungle », tout commence assez classiquement par une présentation des protagonistes qui pourrait rappeler un spectacle de music-Hall. Cette introduction est d’autant plus nécessaire que les personnages sont habillés de costumes modernes qui reflètent leur personnalité : Bagheera est en robe de soirée, Shere Khan ressemble à une star de disco, etc.
Le rideau s’ouvre ensuite et nous invite à pénétrer dans cet ailleurs. Dès lors, il est difficile de résumer l’intrigue de ce spectacle racontée par une narratrice éléphant. Oubliez toute similitude avec le film des studios Disney : ce Jungle Book là prend même ses libertés avec le livre de Kipling. La trame de l’histoire n’est qu’un prétexte pour laisser les différents animaux exprimer leur position et leur situation. Celle-ci consiste davantage dans une déambulation onirique que dans un véritable récit d’aventure.
Le livret comporte malheureusement quelques incohérences : l’accumulation de postes de télévisions ou le pneu où grimpe le singe ne semblent pas vraiment justifiés par la narration. Le passage sur les phoques ne possède pas de réel intérêt, mais coupe plutôt le rythme du spectacle. De même que les personnages du chacal ou du serpent, qui sont présents sur scène sans avoir de véritable rôle dans l’histoire.
Le spectateur ressort de la salle sans savoir véritablement quel était le message que souhaitait lui faire passer Robert Wilson. Heureusement, cette faiblesse de la narration est contrebalancée par un superbe univers visuel qui, lui, reste inoubliable.
Entre mise en scène millimétrée et chorégraphies bâclées
En effet, la scénographie est particulièrement travaillée. Un décor épuré de quelques feuilles d’arbres ou de brins d’herbes évoque la jungle. La lumière est réglée au cordeau et créé un élégant jeu d’ombres chinoises où les costumes révèlent toute leur pertinence : il est possible d’identifier chaque personnage à sa seule silhouette et le public est emporté dans une rêverie vers un ailleurs qui ne ressemble pas tant à la jungle.
Si la scénographie est incroyable, à l’inverse, la grande faiblesse du spectacle réside dans ses chorégraphies, ou plutôt leur triste absence. Certes, les acteurs se trémoussent sur scène mais il ne s’agit guère plus que de gesticulations. On aurait aimé assister à un grand numéro d’ensemble, au moins pour le final !
Un univers musical plein de fraicheur et de bonne humeur
La musique d’inspiration pop lo-fi et folk, composée par CocoRosie, présente une nouvelle couleur musicale rafraîchissante et dynamique. Certains airs sont de vrais moments de bonheur qui donnent envie de danser en rythme et il est dommage que leur intégration au livret ne soit pas plus forte. En effet, à plusieurs moments, ce qui est chanté semble décorrélé de ce qui se passe sur scène et on aurait souhaité que chaque chanson se termine autrement que par un rot, un pet ou un rugissement plus pitoyables que comiques.
Le caractère bilingue du spectacle s’est révélé assez agréable : il est des émotions et des récits que la langue anglaise permet de restituer plus fidèlement et vice-versa (même s’il s’agit sans doute d’une limite pour sa compréhension par les plus jeunes, le spectacle étant annoncé accessible à partir de 8 ans).
Quatre musiciens polyvalents accompagnent les chanteurs avec brio avec une mention spéciale pour la présence prometteuse de beatbox, forme instrumentale plutôt rare dans les théâtres aujourd’hui. Du côté des chanteurs, les performances sont assez variables. Retenons néanmoins la voix suave et sensuelle de Bagheera, interprétée par Olga Mouak qui a su nous enchanter et nous faire voyager.
Jungle Book est un spectacle porteur de bonnes surprises comme de déconvenues, qui laisse une atmosphère pop art, de belles images en tête et quelques airs entrainants. Il offre surtout de nouveaux chemins d’exploration pour le théâtre musical qui pourraient en inspirer plus d’un.