Ils espéraient vendre 250 billets, ce sont finalement plus de 630 personnes qui ont fait le déplacement pour venir assister à l’unique représentation de Sherlock Holmes, dans la cour du château des Remparts à Trets. Le choix de cette ville ne doit rien au hasard, puisque Samuel Safa y a son studio d’enregistrement, et que les frères Safa sont une fierté locale. De leurs débuts à leur victoire lors de la 5ème cérémonie des Trophées de la Comédie Musicale, nous avons partagé “à domicile” une conversation à cœur ouvert, chaleureuse et inspirante, bien au-delà de l’aspect artistique.
MUSICAL AVENUE (M.A) : Bonjour, c'est un plaisir de partager ce moment avec vous. Tout d'abord, pouvez-vous nous dire si le trophée de la comédie musicale jeune public a changé quelque chose pour vous ?
Julien Safa (J.S) : Nous sommes extrêmement fiers d’avoir reçu ce trophée. Cela représente la concrétisation d’un deuxième spectacle pour nous, et crédibilise notre démarche auprès des théâtres. C’est une excellente nouvelle pour la saison qui s’ouvre devant nous. On se sent encore plus légitime dans nos discussions avec les salles de spectacle.
M.A. : Pouvez-vous nous raconter vos parcours, qu’est-ce qui vous a poussé à devenir producteur de comédie musicale ?
Samuel Safa (S.S.) : Il est vrai qu’il n’y a pas d’école spécifique pour cela ! Tout a commencé à Marseille, où nous avons grandi. Au départ, mon parcours était axé sur la musique. Je suis autodidacte en musique, j’ai commencé dans un groupe de rock, puis après avoir obtenu mon baccalauréat, j’ai rejoint la faculté de musicologie à Aix. J’ai appris par moi-même et beaucoup travaillé pour obtenir ma licence en musicologie et j’ai continué à Paris pour obtenir un diplôme en composition de musique de film. Parallèlement, j’ai développé un réseau dans le domaine des jeux vidéo, des films et des spectacles, en tant que musicien. Cependant, je n’étais pas producteur, auteur ou metteur en scène à l’époque.
Le tournant a été la collaboration avec Julien, qui avait écrit une histoire sur les pirates et rêvait de faire naître le spectacle (un moment qui fait écho à la chanson “Mon Rêve”). Cela a déclenché un véritable tourbillon, et nous nous sommes rapidement lancés dans cette aventure. Même si nous n’avions jamais produit de spectacles à proprement parler, nous connaissions bien le milieu de la musique, des droits d’auteur, nous y évoluons depuis plus d’une quinzaine d’années et cette expérience nous a permis de nous lancer.
J.S. : Effectivement tout a commencé avec l’écriture du livret, sans savoir exactement où cela allait me mener. J’ai demandé à mon frère de me “donner un coup de main” au début, mais quand il a vu le projet il a été plus qu’enthousiaste. Avec notre tempérament très libre dans nos choix artistiques, nous n’avions pas envie de chercher un producteur, et petit à petit on s’est dit qu’on pouvait le faire nous-mêmes. C’est comme ça qu’est arrivé Safa Brothers! Avant cette vie-là, j’ai été directeur de magasin pour une grande marque connue entre autres pour ses systèmes audio et sa technologie acoustique haut de gamme. On a réalisé qu’on savait déjà gérer une société. En s’entourant de nos amis qui nous ont aidé bénévolement, nous avons créé le premier teaser de Pirates en tournant au théâtre Toursky et nous avons préparé le business plan. Je crois que le fait d’avoir préparé un socle solide pour le projet a permis de convaincre les partenaires financiers de nous accorder leur confiance, beaucoup de personnes ont cru en notre projet et nous avons créé la société de production.
S.S. : S’il fallait résumer le parcours en quelques mots, je dirai que c’est l’envie et la passion du spectacle, et surtout ne pas se laisser freiner par nos peurs qui nous a permis d’en arriver là où on en est.
M.A. : Vous avez rapidement proposé un deuxième spectacle musical avec Sherlock Holmes, quelle est la genèse de ce projet?
J.S : Notre premier spectacle (Pirates, le destin d’Evan Kingsley) a été touché de plein fouet par la pandémie de COVID-19. Nous étions programmés aux Folies Bergère à Paris pour 20 représentations. La billetterie fonctionnait bien, la communication et la presse nous soutenaient. Malheureusement, après seulement quatre représentations, le confinement a été annoncé. Cela a été un coup dur à la fois sur le plan psychologique et financier. On aurait pu tout laisser tomber, mais là encore la passion nous a poussé à rebondir.
S.S. : Face à cette situation, nous avons décidé de garder le cap (et pour le coup, le spectacle Pirates était une vraie source d’inspiration!). Nous avions toujours envisagé de créer un deuxième spectacle, mais le contexte de la pandémie de COVID-19 a accéléré notre décision. Les idées ont commencé à émerger à l’été 2021. Le thème est apparu progressivement, avec l’envie d’intégrer des éléments colorés et l’influence de Bollywood. L’Inde, en tant qu’ancienne colonie britannique, a amené notre réflexion à la recherche d’un héros anglais, féru de voyages et d’aventures. Petit à petit, Sherlock Holmes est sorti de l’ombre (et pour ceux qui ont déjà vu le spectacle, vous savez l’importance de ces zones d’ombre), comme une évidence.
M.A. : Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus de création ?
S.S. : En tant que compositeur de musique de films et de jeux vidéo, j’explore différents styles musicaux, ce qui est devenu une sorte de signature pour moi. J’aime surprendre et m’amuser en utilisant diverses influences. Lorsque j’ai commencé à travailler sur la musique de Sherlock Holmes, je me suis également investi dans le texte et l’histoire. J’ai imaginé comment ce personnage réagirait face à notre époque, et la musique a naturellement suivi pour accompagner cette vision. Je me suis également beaucoup impliqué dans l’histoire, pour essayer de trouver le meilleur équilibre entre la dimension dramatique (au sens d’un récit épique) et musicale, qu’un élément vienne toujours compléter l’autre.
J.S. : L’une des particularités de notre processus de création est que nous sommes à la fois auteurs, compositeurs, metteurs en scène et producteurs. Tout se construit simultanément, ce qui est différent de la pratique courante où l’auteur fournit le livret et le compositeur écrit la musique. Nous adaptons la mise en scène en fonction des contraintes techniques, ce qui influence également la création musicale. En gardant la vision d’ensemble, nous sommes au service du spectacle, nous pouvons réécrire ou ajuster les éléments au fur et à mesure des répétitions ou des résidences. Cette flexibilité nous permet de réagir rapidement aux besoins du spectacle ; on espère que ça se ressent dans le rendu final, que tout est très fluide et offre un grand moment de divertissement.
M.A. : Vous endossez les rôles de producteur, auteur, compositeur, metteur en scène, comment concilier toutes ces casquettes ?
J.S. : En tant que producteurs, nous devons constamment jongler avec des contraintes budgétaires qui influencent la mise en scène. Dans le cas de Sherlock, nous aurions aimé avoir plus de décors physiques sur certains plateaux, et peut-être même envisager d’intégrer des musiciens sur scène. Cependant, nous savons qu’il est essentiel d’être adaptable dès les premières étapes de la création. La création artistique est souvent une question de compromis. Pour ce spectacle nous avons décidé de privilégier la possibilité d’avoir neuf artistes sur scène pour donner beaucoup de dynamisme et des tableaux d’ensemble assez vifs.
Nous aspirons à gérer tous les aspects du spectacle, mais nous avons également conscience qu’il est essentiel de trouver des collaborateurs qui adhèrent à notre vision. Johan Nus (Ego-système le musée de votre existence, Les Producteurs, Courgette) a été un collaborateur parfait pour cela, tout comme Harold Simon à la réalisation vidéo, et qui apporte beaucoup sur l’ambiance visuelle. Ce sont des personnes extrêmement talentueuses qui respectent notre vision artistique et qui se mettent au service du spectacle. Ils comprennent nos besoins et notre approche.
S.S.: Devenir producteur, auteur, compositeur était une évidence pour nous. En revanche, devenir metteur en scène n’était pas nécessairement prévu au départ. Comme nous ne trouvions pas la personne avec qui nous avions le feeling artistique, et que nous devions avancer rapidement pour créer tous les aspects du spectacle, nous avons fini par nous lancer. Nous avions déjà en tête les scènes, les changements rapides et les entrées des personnages. Nous avons fini par endosser le rôle de metteurs en scène presque sans nous en rendre compte.
M.A. : Avant de repartir à Paris, une représentation en extérieur est jouée à Trets, c’est un nouveau challenge d’adapter le spectacle dans un lieu tel que la cour d’un ancien château?
Julien et Samuel : Jouer à Trets pour le lancement de la saison est une expérience des plus exaltantes, même si nous avons aussi une certaine forme de pression avec l’envie d’offrir un grand moment de divertissement. C’est un réel bonheur de se produire dans notre ville de cœur. C’est vrai que c’est un défi, car il faut repenser – pour une seule date – la mise en scène. Par exemple, nous ne pouvons pas utiliser les écrans latéraux habituels. Il faut adapter les projections vidéos, mais aussi gérer les problèmes de vent dans les micros pour la sonorisation, attendre la tombée de la nuit pour le réglage des lumières (contrainte qui n’existe pas dans une salle fermée), et espérer que la météo soit favorable (car même dans le Sud, on peut avoir des surprises). Ce défi nous a stimulé et nous a permis de redécouvrir notre propre création. C’est une occasion parfaite pour retrouver nos repères avant la reprise au 13ème art à Paris ; les artistes retrouvent leurs marques et leur complicité.
M.A. : Avez-vous encore de nouveaux projets en vue, pouvez-vous nous en parler?
Samuel et Julien : Nous avons plein de choses en tête. Pour le moment, l’une de nos occupations principales est la préparation d’un spectacle de Noël à destination principalement des comités d’entreprise, avec un thème viking (Yule, les origines de Noël). Les premières dates sont prévues pour décembre 2023 au Palais de Sports à Marseille (un nouveau projet que nous sommes fiers de démarrer dans notre région, avec beaucoup d’artistes locaux). Il s’agit d’une expérience nouvelle pour nous : c’est la première fois que nous ne sommes pas les producteurs principaux, mais nous avons accepté ce projet car la société de production nous fait confiance et connaît la qualité de notre travail. Nous préservons notre liberté créative, c’est essentiel à nos yeux. Nous avons carte blanche pour l’écriture et la musique, les castings, les décors, les relations avec les artistes et tous les choix de création.
Julien : En parallèle, j’ai écrit et coréalisé un premier court-métrage, sélectionné au festival du film fantastique de Menton qui se tiendra du 26 au 29 octobre prochain, ça sera un grand moment. Je suis également actif dans le monde du doublage.
Samuel : Outre les compositions et les participations aux musiques de film, j’interviens régulièrement auprès des plus jeunes, comme par exemple au département SATIS à Aubagne (en lien avec la faculté des sciences d’Aix-Marseille, pour une formation professionnalisante aux métiers du cinéma et de l’audiovisuel). Je leur rappelle la chance qu’ils ont d’avoir aujourd’hui à leur disposition des outils de grande qualité (le site s’appuie sur 2300 m2 de locaux avec des équipements de très haut niveau, regroupant tous les outils de la post-production). Quand j’ai commencé il n’y avait quasiment rien qui existait en région, c’est une très belle évolution de voir toutes les formations et écoles de comédie musicale et de spectacle vivant qui se créent partout en France.
Musical Avenue remercie chaleureusement Samuel et Julien Safa pour leur disponibilité et le partage de leur passion.
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