Il y a quelques mois de cela, nous avons eu la chance de rencontrer Magali Jünemann, maquilleuse et coiffeuse pour la comédie musicale Pirates, le Destin d’Evan Kingsley. Alors que le spectacle est de retour au Casino de Paris le 30 novembre et en tournée, voici l’occasion de vous partager les coulisses de cette rencontre mettant en lumière un métier qui reste avant toute chose, une grande passion. Bonne lecture !
Musical Avenue (MA) : Bonjour Magali, nous sommes ravis d’être avec vous au Casino de Paris. Pouvez-vous vous présenter et nous parler de votre parcours ?
Magali Jünemann (MJ) : J’ai un parcours assez classique de 25 ans de coiffure et 15 ans en maquillage. J’ai toujours été plus attirée par le spectacle comme l’opéra et ses coulisses, que par les métiers plus traditionnels. J’ai découvert le métier de maquilleuse quand je travaillais en salon de coiffure. Une forme d’ennui s’était installée et j’ai tout remis en question y compris les perspectives de reprendre une affaire. C’est sur le terrain, et en travaillant sur des petits spectacles que je me suis ouverte à l’exercice du maquillage. Je me suis dit que ce serait intéressant de travailler la coiffure et le maquillage en même temps.
Je me suis renseignée dans une école prés de chez moi à Aix-en-Provence, l’école Sophie Lecomte, que je viens de racheter et dont je suis la nouvelle Directrice ; elle proposait une vision beaucoup plus artistique que de simples notions de maquillage. J’ai totalement adhéré à ce concept et j’ai décidé de ne plus faire de formation courte mais une formation plus complète. Cela m’a amené une ouverture d’esprit pour créer et m’amuser, et ne pas retomber dans le côté fatiguant du quotidien. Aujourd’hui, j’enseigne dans cette école et c’est important pour moi que les étudiants puissent découvrir réellement et immédiatement l’envers du décor sur les spectacles.
MA : A partir de quel moment êtes-vous intégrée au processus créatif du spectacle ?
MJ : Tout d’abord, j’ai reçu une histoire avec de la documentation. Nous ne savions pas ce que les créateurs comptaient en faire car le livret n’était pas abouti. J’ai longuement échangé avec Julien Safa (un des créateurs du spectacle) sur le fait que nous devions être intégrés à la construction pour comprendre notre rôle. Il est important de sentir ce que la production et l’équipe créative veulent faire ressortir. J’ai donc eu accès aux musiques et aux voix posées pour comprendre le ton donné qui peut impacter le maquillage et la coiffure. Cela nous permet d’ajuster notre travail en fonction des interprétations. C’est donc important d’être là rapidement et de faire partie de l’équipe créative.
MA : Pensez-vous que cela soit une généralité d’être intégrée aussi tôt dans le processus créatif ou cela reste-t-il une exception ?
MJ : C’est un cas qui reste particulier car c’est ma vision du protocole. C’est un travail d’équipe et nous ne pouvons pas mettre de côté un des éléments de construction artistique. Dans de nombreux cas, il y a souvent une grande partie du spectacle qui est déjà monté quand on fait appel à la créa maquillage et coiffure. C’est agréable pour nous de voir la création d’une histoire.
MA : Dans votre travail de création sur Pirates, le Destin d’Evan Kingsley, quel a été votre plus grand défi ?
MJ : Le plus gros challenge a été de s’accorder avec les Safa Brothers qui sont des fans absolus de cinéma. Ils ont beaucoup de références et donc un regard et des plans cinématographiques en tête. J’avais anticipé des choses mais les artistes proposent un jeu que le maquillage peut contrer. J’ai donc dû repenser certaines idées.
L’enjeu était aussi de se mettre en accord pour leur proposer quelque chose qui ne dénature pas le coup de cœur qu’ils avaient eu pour ces comédiens et ne pas perdre ce qu’ils avaient vus. De fait, il faillait trouver ce juste équilibre pour donner un style aux personnages.
Je m’amuse à ne pas rentrer dans les codes. Il y a énormément de choses qui ont cartonnées sur les pirates. Je ne voulais pas que le public s’attende à voir un Jack Sparrow. Trouver l’inspiration vient en rencontrant les comédiens. J’ai vu le personnage de Zizard comme un dandy fin du 19ème siècle à la façon de Hugh Jackman dans The Greatest Showman par exemple. Quand on a dû imaginer le personnage de Kazam, il m’est venu en tête Tortue Géniale dans Dragon Ball. L’idée du faux crâne est une technique poussée en maquillage. Nous avons dû changer le maquillage, la coiffure et le costume du comédien en moins de 6 minutes pour le transformer en un autre personnage. Un vrai challenge.
MA : Combien de temps prenez-vous pour préparer l’équipe avant chaque représentation ?
MJ : Nous sommes sur deux heures de préparation. A la création, j’étais seule mais je me suis entourée de jeunes maquilleurs à qui je voulais transmettre mon expérience. Sur les premières dates aux Folies Bergères, nous étions une équipe de 6 personnes, équipe qu’il a fallu repenser pour la tournée. Nous avons donc formé une équipe à s’auto maquiller et sélectionner les maquillages pouvant être faits en totale autonomie. Les personnages plus importants demandant plus de technique, nous nous en occupons. Il y a toujours une personne au maquillage et une personne à la coiffure.
MA : Quels conseils pouvez-vous donner à nos lecteurs qui souhaiteraient faire la même chose que vous ? Est-ce cultiver les contacts, la passion ?
MJ : La passion est présente quand on envisage de faire ce métier. Nous devons rester ouverts à plusieurs domaines. Il y a plein de choses qui m’intéressent, donc mon premier conseil est la curiosité. Il suffit que l’on s’intéresse à une petite chose qui nous amène à une autre, ce qui amène à se cultiver. Cette ouverture permet d’échanger avec les différentes personnes que nous rencontrons et trouver le point commun qui va nous rassembler.
MA : Justement, est-ce qu’il y des choses totalement différentes de votre métier qui vous inspirent et qui nourrissent votre art ?
MJ : J’ai découvert l’opéra à l’école primaire avec un instituteur qui faisait de l’éveil musical. En fermant les yeux, nous devions écrire l’histoire derrière la musique. Un jour, nous avons écouté un morceau et avons imaginé un lit d’une rivière qui passait de saisons en saisons. C’était les 4 saisons de Vivaldi que nous venions d’entendre. A cet instant, je me suis intéressée à la musique classique ; puis j’ai découvert l’opéra en ayant l’opportunité d’assister à La Traviata. J’ai eu un coup de cœur. L’opéra permet de découvrir des univers et périodes d’écritures correspondant à une vie sociétale différente. Issue d’un milieu modeste, je pensais que l’opéra n’était pas fait pour moi. Parfois, il faut provoquer pour s’ouvrir à des tas de choses intéressantes à cultiver. Et cela m’a beaucoup inspiré dans mon cursus de maquillage.
MA : Pensez-vous que ce métier soit suffisamment mis en lumière ?
MJ : Non, je ne le pense pas car nous ne sommes pas là pour être dans la lumière et c’est tout à fait normal. Nous sommes des métiers de l’ombre mais indispensables pour allumer la lumière chez les gens. Prenons la cérémonie des Césars, les seuls métiers non reconnus par un prix sont le maquillage et la coiffure. Sur le film La Môme par exemple, cela me parait indispensable que ce métier existe. Comment ferait-on pour faire rêver les gens au cinéma sans la coiffure et le maquillage ? Pour moi, il n’est pas suffisamment mis en lumière et j’espère que cela va changer. Il n’y a pas de raison pour que cela ne change pas.
MA : Quels sont vos futurs projets ?
MJ : Il y a le projet de Sherlock Holmes des Safa Brothers. On attend avec impatience d’en savoir plus. Pour le moment, le spectacle n’est pas encore construit. (NB : l’interview datant de plusieurs mois, le spectacle était en cours de création). En dehors, je suis très investie dans la formation de jeunes futurs maquilleurs que j’accompagne dans leurs projets et développement de leur réseau afin de les aider à démarrer dans le métier. Quand on finit sa formation, on part un peu à l’aventure et ils peuvent avoir peur du futur. Je pense qu’ils n’ont pas de raison de s’en faire. En parallèle, je travaille pour de plus petits spectacles dans le sud.
MA : Est-ce que vous avez une anecdote à nous partager sur les coulisses de Pirates ?
MJ : Sur les premières représentations, comme nous avons eu peu de temps pour monter le spectacle et que les changements étaient très rapides, nous avons eu quelques drôleries comme le personnage de Kazam qui perdait un sourcil ou le personnage de Jardon qui perdait une pustule de temps en temps par exemple. D’ailleurs, le public pouvait le remarquer et c’était très drôle. Parfois, des timings durs à gérer sur les changements de costumes. Nous étions à 6 mains dans un petit espace et cela pouvait être un peu compliqué. Mon plus beau souvenir reste la rencontre avec les comédiens quand je faisais les tests maquillages. Ils étaient très impliqués dans la construction du personnage et souhaitaient avoir une vraie « gueule ». Les frères Safa ont réussi à créer un vrai esprit de troupe. Cela a été tout de suite une connexion incroyable.
MA : Dernière question, est-ce qu’il y a un maquillage ou une coiffure qui vous a marqué au cinéma, au théâtre, à l’opéra… ?
MJ : J’aime beaucoup les films d’époque qui sont revisités. La réflexion des créatifs autour du sujet me fascine. En film, j’aime beaucoup Marie-Antoinette de Sophia Coppola car cela résume vraiment bien le personnage et cela reste fidèle historiquement sur les plans du maquillage et de la coiffure. En tant que passionnée d’histoire de la coiffure et du maquillage, nous retrouvons des choses très précises et en même temps c’est très moderne. J’aime d’ailleurs beaucoup le clin d’œil historique au coiffeur emblématique du 18éme siècle qui lui prépare une gigantesque structure, comme cela s’est réellement passé.
Je m’inspire aussi beaucoup de peinture, un univers trés proche du maquillage finalement. Pour mes pirates, Jérôme Bosh ou Peter Brueghel m’ont beaucoup aidé.
MA : Un grand merci Magali
MJ : Merci à vous.
Il ne vous reste plus qu’à découvrir son formidable travail sur Sherlock Holmes, l’Aventure Musicale à partir du 18 février 2023 au Théâtre le 13ème Art.
Crédit Photos : Luc Perrin